Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/197

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une furie effrénée à travers tout Avila. Je suis sur le siège, et complètement gelé, craignant mille fois de verser tant les tournants sont courts et les bêtes affolées. Encore tout ce qu’il y a de plus classique en fait de diligence espagnole. H… a mille peines à faire tenir sur son nez l’instable et bouleversé lorgnon.

Nous arrivons, et naturellement, le train est toujours là. Nous nous engouffrons dans un compartiment d’un wagon de seconde où tous les compartiments communiquent comme dans les troisièmes françaises. À sept heures du soir, le train repart.

Et la voilà bien la gaieté espagnole.

À deux compartiments de distance, il y a justement une gitane. Pendant que le train marche elle se met à danser en chantant et en s’accompagnant avec les doigts ; tout le wagon hurle en chœur.

Deux très jeunes filles lui répondent d’abord, puis, jalouses de son succès, elles lui posent des colles, des devinettes que je ne comprends pas, mais qui doivent être d’une belle obscénité, si j’en juge d’après la fréquence des mots : « Carajo ! » et « el cono ». Ce dernier vient souvent à la rime.

Puis tout s’envenime. Discussions violentes. Cependant, le train s’est arrêté devant une nouvelle avalanche, mais personne n’y fait attention. J’en profite pour quitter mon compartiment et m’intégrer dans le compartiment intéressant, celui des femmes.