Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 5.djvu/199

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bassin immense, également blanc jusqu’à l’horizon. Lune sur tout cela.

H… me dit : « Nous sommes à treize cents mètres d’altitude. »

Rien ne peut donner une idée de la splendeur de ce moment. C’est très probablement ce que j’ai jamais vu de plus beau, ce train bloqué dans cet Himalaya. Plus beau même que la traversée du Djurdjura en juillet.

Tout à coup, la gitane recommence ! Injures de plus en plus grossières. La petite (une tête d’enfant dans un foulard blanc aux cornes en arrière et noué sous le menton) devient sérieusement en colère, elle aussi ; et au bout de deux minutes les deux femmes se précipitent de nouveau l’une sur l’autre, en pleurant de rage.

On les sépare encore. Et à ce moment, d’un compartiment voisin, surgit un grand escogriffe avec un uniforme ridicule de garde civil (gendarme). Il enjambe de ses longues bottes la barrière de bois qui sert de dossier, il s’avance tranquillement vers la petite et, avec cette infaillibilité de la police qui frappe toujours le plus faible, il lui donne sur la joue gauche le soufflet le plus brutal que j’aie jamais entendu.

Puis il la fait passer dans un autre compartiment, toute en larmes et tremblante, et il revient lui-même gravement dans le sien, avec la satisfaction d’avoir rétabli l’ordre troublé.