Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 7.djvu/91

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mon ami. Dans une quinzaine. Au prochain voyage.

— Qu’est-ce que tu dis, dans une quinzaine ? Je vais Melilla, jord’hui.

— Oui. Eh bien ! tu iras de Nemours. Nous avons filé devant Melilla sans relâche. J’aurais coulé mon bâtiment si j’avais abordé cette nuit, par le temps que nous avons eu.

L’Arabe, de fureur, claqua des dents. Il grogna un Yekreb beïtak où toute sa colère était grondante ; puis il s’éloigna sur le pont en se tenant aux bastingages et en promenant son regard noir sur la côte de sa patrie qui fermait l’horizon à l’est.



La salle à manger dont je poussai la porte restait vide, ou à peu près. Deux autres passagers, sur cinquante, avaient pu quitter leur cabine. C’était d’abord une vaillante voyageuse, la vieille marquise de S…, mère d’un député français que M. Jaurès combattait déjà. C’était ensuite M. Walter H… Celui-ci m’adressa la parole, avec la bonne humeur joyeuse qui succède aux mauvaises nuits de mer et qui ressemble au sourire de la convalescence,

— Je viens de passer cinq ans au Maroc, me dit-il, et je vais en Perse, par Marseille, Constantinople et Batoum. Dites-moi, aimez-vous les Arabes ?

Sur ce mot, nous fûmes en sympathie.