Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et elle se souvint, la main sur les yeux.

« J’étais petite. Philae existait encore. Mon père m’avait emmenée avec lui en Thébaïde et en Nubie. Nous avions quitté Assouan à travers un désert torride, un désert de Saint-Antoine où je croyais voir des lions sur les collines et des vipères le long des pistes. Et tout à coup, du haut d’une côte sinistre, au milieu du grand fleuve jaunâtre qui semblait un autre désert en marche, nous avons découvert le Paradis terrestre, l’île verte de la Vie dans la terre des Morts… Philae ! Ô Philae ! ses arbres, ses palais, ses colonnes peintes, sa grande Isis ailée que je prenais pour l’Ange de l’Éden perdu ! Et j’allais entre ses palmiers, cherchant lequel avait jeté dans la main de la première femme le fruit qui donne la science du bien et du mal… »

Elle rouvrit les paupières.

« Vous me l’avez rendue, la vision de mon enfance. Nous avons quitté la Forêt de l’Hiver, et voici le Printemps, un autre Printemps !

— Celui qui naît pour vous seule.

— Celui que vous m’aviez promis. »