Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Le Gouvernement m’a chargé d’une mission anthropologique chez les indigènes de Belleville.

— Voulez-vous être sérieux ou je vous bats ! Je vous ai vu sortir de cette maison noire, au coin du passage. Qui connaissez-vous là ?

— Une charmante enfant blonde et pâle, qui est autorisée par l’État à vivre de ses sourires.

— Il n’y a pas un mot de vrai dans ce que vous me racontez. D’abord la maison est habitée par des familles ouvrières dont je réponds et qui ne souffriraient pas la présence d’une de ces personnes au milieu d’elles. Ensuite, vous avez dîné hier chez le Général Fels et vous seriez encore en habit si vous n’aviez pas dormi chez vous. C’est un costume du matin que ce veston bleu, ce chapeau gris, cette… »

Elle recula de deux pas, et cria :

« Grand Dieu ! »

Un silence suivit, puis elle éclata de rire :

« Oh ! que c’est amusant ! Mon Dieu ! Que c’est drôle !… Venez, suivez-moi, vite ; sortons, je ne veux pas qu’on nous épie.

— Madame, je ne comprends pas du tout…

— La canne à tête de singe… C’est à vous ? C’est la vôtre ? Mais oui, et le veston, le chapeau, la cravate, le gilet, le pantalon, les bottines, tout ce qu’on m’a décrit. »

Prenant alors une intonation mélangée où l’on distinguait à la fois de l’ironie, de la tendresse, de