Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/16

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je ne sais pas pourquoi on a choisi Ménilmontant plutôt que Vaugirard ou les Épinettes ; c’est une tradition chez les miens. Nous avons des renseignements complets sur les vrais pauvres, sur ceux qui méritent d’être soutenus, et nous les empêchons de souffrir dans la mesure de nos fortunes ; mais comme le quartier est très misérable et nos protégés très nombreux, nous ne donnons guère que des pièces blanches pour l’ordinaire de chaque secours, sauf les cas de maladie ou d’expulsion. Je me suis contentée de reprendre ici les habitudes de ma grand’mère avec deux de mes cousines et quatre amies qui donnent aussi leurs soins au quartier et rien ne distinguait l’un de l’autre nos petits mardis populaires, quand tout à coup nous avons découvert un inexplicable changement de situation chez quelques-uns de nos malheureux. Là où il n’y avait ni pain ni bois, nous trouvions des armoires à glace, des pipes d’écume, des montres d’argent, des bicyclettes, des jupons demi-soie, des machines à coudre, enfin tout ce qui fait le luxe à Ménilmontant, et nous avons fini par apprendre que, dans les soupentes où nous laissions cent sous, un jeune homme inconnu passait après nous, qui distribuait des billets bleus. Son nom ? Il ne voulait pas le donner. Son adresse ? Encore bien moins. Son portrait ? Des cheveux ni bruns ni blonds, une moustache indécise, des yeux peut-être bleus, peut-être verts et pas de signes