Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

neutres. Qu’il y ait opposition entre de tels goûts et de telles habitudes, qu’il soit insensé de revêtir chaque soir un uniforme civil dont on reconnaît ouvertement l’insignifiance et le ridicule, il veut bien en convenir, mais non pas y remédier. Sa nonchalance s’accommode d’une défroque qu’il peut conduire aux funérailles, aux mariages, aux dîners de famille, aux banquets officiels comme aux débauches secrètes, et, comble d’opiniâtreté, il la conduit aux mascarades.

La surprise de Gabriel était due à ceci d’extraordinaire : que pas un habit noir ne se mêlait aux mille costumes bruissants et houleux devant lui.

Une mer de couleur l’enveloppait.

Complaisamment, il savoura sa découverte. Il n’était pas de ces égarés qui, tarissant ainsi le bonheur lui-même, ne veulent s’étonner de rien. La dérision générale lui semblait une élégance trop facile, presque une recette un peu vulgaire à l’usage de ceux-là seuls qui ne savent ni traduire ni répandre une âme aisément exaltée. Un soir déjà lointain, il avait entendu Stéphane Mallarmé dire de cette voix si ponctuelle et si discrète à la fois, qui semblait demander la permission de dispenser la vérité pure, une phrase depuis célèbre et tant de fois reprise.

« Le poète est celui qui s’étonne de tout. »

. . . . . . . . . . . . . . . . .