Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 8.djvu/91

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invisible, attendant son corps absent qui allait se confondre avec elle. Aimery l’adorait, lui souriait déjà.

Ah ! l’ardente chimère que cette évasion ! S’aimer, se le dire un jour et fuir dans la nuit ! Rompre avec toutes les règles de l’amour classique, déchirer le protocole du flirt, inobserver le jeûne préalable, sauter trois actes et sept tableaux entre la cavatine et le duo d’amour ! Ah ! si elle était femme à aimer ainsi, à partir « spontanément comme si c’était l’idée la plus simple du monde que d’aller où le printemps l’appelle et d’y conduire son amant. » Il l’avait crié ! Que n’entendait-elle !


Cependant l’heure passait. La voix du chef de train appelant « les voyageurs pour l’express de Nantes » fit bondir Aimery, qui devint pâle.

Trois minutes encore, et le train partirait.

Le tumulte de la gare allait grandissant. On entendait des appels précipités, des cris d’adieu qui se croisaient avec les commandements de services, des sifflets soudains qui assourdissaient le bruit émouvant des portières fermées.

Aimery s’appuya de la main au chambranle de la petite porte et son cœur se mit à battre avec tant d’emportement qu’il ne savait pas si c’était de désir, de désespoir ou d’incertitude. Dix fois il voulut se jeter dehors et courir jusqu’au marchepied pour voir de ses yeux… pour appeler peut-