Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/215

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Je suis tout triste, moi, quand je termine un roman comme celui-là, je veux dire un vrai roman, qui vous donne l’illusion de la réalité, un roman vécu, comme on dit, — ou plutôt comme on ne dit plus.

C’est que malgré tous les préjugés, malgré le respect humain, on s’intéresse à ces personnages. À force de remarquer qu’ils sont vraisemblables, qu’ils pourraient exister, on finit par croire qu’ils existent réellement. Ils parlent et on les entend ; ils se meuvent et on les voit ; ce sont des amis, on les connaît, on les aime, on s’est habitué à leurs défauts, on a appris à goûter leurs qualités, — et puis tout à coup, sur un événement quelconque, un mariage le plus souvent, on les perd de vue, brusquement[1]. C’est fini, on ne les reverra plus, ils sont disparus, envolés ; cela fait comme des amis, de bons amis qui seraient morts, — et on est triste. Il semble qu’on s’éveille d’un rêve, le matin. Les premiers instants, on dort encore un peu, on croit ressaisir encore les images qui s’échappent, puis on est tout à fait éveillé et on regarde en arrière ; mais tout cela n’existe pas ! C’est du songe, c’est de la fantaisie, ces gens, j’ai vécu avec eux, eh bien ! ils sont morts, évanouis, frrrtt !

  1. Se souvenir de cette impression de lecteur et songer à reprendre les personnages de certains romans. 97.