Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/280

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salut de ma gloire aux indifférents que je devrais récuser.

Non… je ne ferai aucun des deux excès. Je ne me livrerai pas au peuple parce que je le hais. Je n’écrirai pas pour moi seul parce que je doute de moi. Mais je veux rester célèbre au milieu d’un petit groupe d’amis ; je veux être aimé de vingt personnes, et encore est-ce beaucoup. J’ambitionne comme la plus haute gloire celle de Rossetti et la célébrité que j’acquerrais après ma mort ne pourrait que nuire à l’idée que je me fais de moi-même. Pour éviter la popularité, je ferai tout : j’ai déjà dit plus haut que je supprimerais toute réclame et que je changerais de pseudonyme. Ce n’est pas tout. Je sais que le public cherche le scandale, aussi je n’écrirai rien dans ce sens. Flaubert et Baudelaire seraient bien plus grands s’ils n’avaient pas eu, avec Madame Bovary et les Fleurs du Mal, le déshonneur d’un succès de librairie. Autre chose : le public français aime la clarté : je serai obscur. Il aime la fausse humilité : je serai orgueilleux. Il aime le chauvinisme : je ne lui parlerai jamais de la patrie. Lui qui va à l’ordure, il aime la morale aussi : je serai d’une immoralité tranquille et insouciante, afin de n’avoir de succès ni d’un côté ni de l’autre. Et maintenant, il faudra qu’il soit bien jolie femme pour venir à moi qui aurai tout fait pour l’éviter, quand il en fuit tant d’autres qui donneraient dix ans de leur vie pour se vendre