Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/335

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guré, je l’avais vu, un autre soir, avec Gide ; mais je ne sais, aujourd’hui, les mêmes détails n’y étaient plus, il semblait négliger certains vers, accentuer certains gestes fous et étranges, et donner on ne sait comment à l’ensemble une allure de magistrale violence et d’inspiration hugoléenne.

Le grand monologue où il n’avait pas pu l’année dernière donner toute sa force avant de l’achever, il l’a poursuivi ce soir avec un souffle qui grandissait de vers en vers, s’élevait, montait, s’élargissait, emplissait la salle d’une voix extraordinaire que je n’avais jamais entendue, mâle et vibrante, sonore et profonde, d’une pureté et d’une plénitude absolues. Et en moi, qui semblais vivre d’une vie inconsciente, maîtrisée, soulevée, ravie, montait au son de la voix vers l’invincible évocation tout ce que j’avais de sens, de frissons, et de chair palpitante, de bas en haut, tout le long de mon corps, jusqu’à ma tête envahie. Je sentais mon corps vide, vide ; et la marée dans mon cerveau. Πολυφλόσϐοιο… Πολυφλόσϐοιο…

Dans ma vie passée, une seule chose a été pour moi comme un avant-goût de ces quelques minutes… c’est la dernière scène du Crépuscule des dieux, d’où je suis revenu malade, presque aveugle et titubant, hors du monde.

— Et ce n’est pas seulement cette voix… c’est le geste irrésistible, c’est la vie tout entière ; c’est le dieu qui lui transparaît du visage, de la bouche,