Page:Louÿs - Œuvres complètes, éd. Slatkine Reprints, 1929 - 1931, tome 9.djvu/40

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un petit employé de ministère, bien timide, bien fier de votre titre de sous-chef adjoint et de votre ventre respectable[1]. Vous serez Monsieur Louis gros comme le bras, et vous regarderez[2] du haut de votre grandeur vos divagations de potache. Eh bien ! Monsieur, ne soyez pas si fier[3] ; sachez que vous ne retrouverez peut-être jamais dans votre vie les moments d’enthousiasme de vos seize ans. Enthousiasme irraisonné, je le veux bien, enthousiasme à propos de tout, sans règl et sans mesure, je vous l’accorde, mais agréable tout de même comme tous les enthousiasmes. Sachez, Monsieur, que vous n’aurez jamais de plus grands bonheurs que ceux de vos seize ans[4] ; jamais plus de fierté que le jour où votre coiffeur vous a gravement proposé de vous raser le menton, et où vous avez accepté, vous tenant à quatre pour ne pas rire. Sachez que vous ne retrouverez plus le sentiment que vous avez éprouvé le jour où, vous regardant dans les glaces du pâtissier, vous avez trouvé que vous deveniez jeune homme. Sachez

  1. Penses-tu, sale gosse !
  2. Je regarderai avec pitié ce petit Eliacin qui a un « besoin féroce d’écrire » en juin 1887 et qui, jusqu’à la fin de l’année, ignorera sa vocation.
  3. Oh ! non ! je ne suis pas fier de toi.
  4. Pauvre petit ! tu verras ça plus tard, à la Grande-Chartreuse, à Penmarch et l’été du Sahara, et Chrysis sur le Phare, et la saveur de la mort en ta vingt-septième année, au premier jour des vingt-sept mois incomparables, — et le Sphinx et les trois Apogées.