Page:Louÿs - Aphrodite. Mœurs antiques, 1896.djvu/332

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paix. Assez longtemps il avait pris pour lumière le clair de lune, et pour idéal la ligne nonchalante d’un mouvement trop délicat. Son œuvre n’était pas virile. Sur la peau de ses statues il y avait un frisson glacé.

Pendant l’aventure tragique qui venait de bouleverser son intelligence, il avait senti pour la première fois le grand souffle de la vie enfler sa poitrine. S’il redoutait une seconde épreuve, si, sorti victorieux de la lutte, il se jurait avant toutes choses de ne plus s’exposer à fléchir sa belle attitude prise en face d’autrui, du moins venait-il de comprendre que cela seul vaut la peine d’être imaginé, qui atteint par le marbre, la couleur ou la phrase, une des profondeurs de l’émotion humaine, — et que la beauté formelle n’est qu’une matière indécise, susceptible d’être toujours, par l’expression de la douleur ou de la joie, transfigurée.

Comme il menait ainsi le cours de ses pensées il arriva devant la porte de la prison criminelle.

Ses deux esclaves l’attendaient là.

« Nous avons porté la motte de terre rouge, dirent-ils. Le corps est sur le lit. On n’y a pas