Page:Louÿs - La Femme et le Pantin, 1916.djvu/88

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se moulait à ses joues en boule. Une mèche ronde et noire, une paupière fermée des cils très longs, un petit nez dans la lumière et deux lèvres marquées d’ombre, je n’en voyais pas plus, et pourtant je m’attardai jusqu’à l’aube sur cette bouche singulière, tellement enfantine et sensuelle ensemble, que je doutais parfois si ses mouvements de rêve appelaient le mamelon de la nourrice ou les lèvres de l’amant.

Le jour vint, comme nous passions l’Escorial. L’hiver sec et terne des alrededores avait remplacé, dans l’horizon des vitres, les merveilles de la Sierra. Bientôt nous entrâmes en gare, et comme je descendais ma valise, j’entendis une petite voix qui criait, déjà sur le quai :

« Mira ! mira ! »

Elle montrait du doigt les massifs de neige qui, d’un bout à l’autre du train, couvraient le toit des wagons, s’attachaient aux fenêtres, coiffaient les tampons, les ressorts, les ferrures ; et auprès des trains intacts qui allaient quitter