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vant son amie l’air plaintif et désolé qui convient à cet âge viril. Ce n’était point pourtant qu’elle voulût jouer un rôle. Le seul poids de son émotion avait altéré son front sous une lourde mèche de deuil. Un sentiment profond de la gravité des circonstances et du souvenir qu’elle aurait toujours de cette heure très juvénile arrêta son petit cœur battant. Elle se vit plus tard, miséreuse sans doute, vendant des oranges rue Saint-Denis, ou des crayons dans la Canebière, à l’âge où l’un et l’autre sexe, après s’être entendus longtemps pour la trouver digne de désir, continueraient à s’accorder pour la laisser mourir de faim. Elle devinait déjà que les femmes résument en quelques instants lumineux un immense passé plein d’ombres, et elle savait qu’au delà de la jeunesse elle reverrait jusqu’à la fin, par-dessus tous les oublis, le décor lunaire et ténébreux de cette nuit exaltatrice.

Alors, elle prit par la main la petite Princesse Aline et la fit entrer à sa suite dans le cercle d’obscurité qu’enfermaient les cinq colonnes grecques.

Elle revécut un peu plus tristement l’heure déjà morte pour toujours où elle avait senti avec tant de frisson qu’elle engageait sa liberté.

En souvenir, elle prit au coussin un petit nœud d’étoffe blanche et verte.