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Il regardait ma sœur et Jacques, qui attendaient la fin de notre colloque pour s’approcher ; il continua :

— C’est effrayant ; ces fillettes, comme ça grandit ! et quelle place cela prend si vite dans la vie. Il nous faut marcher, comme le Juif-Errant, marcher toujours ; qui s’arrête est vite dépassé.

Nous fîmes ensemble la conduite au curé, il voulait sortir par la porte donnant sur les champs pour continuer sa tournée ; il prit le bras de Jacques et se fit montrer nos vergers et les espérances de la récolte des pommes, la grande richesse de notre canton.

Nous traversâmes ensuite la grande prairie attenante au jardin et qui était animée par de pittoresques groupes de faneurs et de faneuses ; les chariots, attelés de beaux bœufs blancs et roux, stationnaient, attendant la charge de foin savoureux dont les greniers s’emplissent pour la nourriture d’hiver du bétail.

— Bonjour, Monsieur le curé et la compagnie, criait-on de toutes parts, selon la formule en usage.

Quand le bon prêtre nous eut quittés, nous revînmes nous mêler aux faneurs, et pour assister au chargement et au départ des chariots, nous nous assîmes sur une meule dont l’herbe sèche sentait bon.

Jacques voulut aider les charretiers, et c’était plaisir de le voir enlever comme des paquets de plumes les bottes de foin et les lancer au sommet du chariot.

— C’est un vrai paysan, Monsieur Darcourt, disaient les moissonneurs.

Ces braves gens l’aiment et voient depuis longtemps en lui le maître futur, juste et généreux, pour le service duquel tout travail semblera facile.

Notre vieux curé paraissait craindre quelque danger que j’ignore ; nous sommes entourés d’amis ; les procédés de ma mère envers ces paysans, dont beaucoup dépendent de nous, nous assurent de leur dévouement ; nos voisins de campagne savent que je suis promise à Jacques ; mais Monsieur le curé a raison, il faut des situations nettes, et je ne tarderai pas plus longtemps.


Octobre. — Jacques m’a témoigné aujourd’hui le désir bien inattendu de voyager une partie de l’hiver, avant de s’installer définitivement ici. Il m’a donné de bonnes raisons, me semblait-il, il est un peu jeune, il devrait voir le monde, visiter les hôpitaux à l’étranger ; ce soir je trouve ses raisons moins bonnes, elles sont si nouvelles ! elles me causent une impression pénible que j’ai soigneusement cachée, je ne veux pas