Cette conviction est fortifiée chez les résidents, militaires surtout, par l’autorité qui leur est conférée. Tel jeune officier français, à peine sorti de Saint-Cyr ou de Saint-Maixent, est pourvu du commandement d’un cercle qui comprend plusieurs dizaines de milliers d’habitants. Investi de toutes les prérogatives, soustrait à tout contrôle, affranchi de la discipline elle-même, puisque son chef hiérarchique peut se trouver à vingt jours de marche plus loin, il est assimilé à un potentat, à un monarque absolu. Comment ne se griserait-il pas de sa puissance ? Comment, à moins d’être une merveille d’humanité, ne se laisserait-il pas emporter peu à peu aux abus et aux exactions ? Avec les quelques miliciens qui l’entourent, il tient en respect toute une population. Il sait la valeur du fusil au milieu de peuplades désarmées ou mal armées. Il incline fatalement aux mœurs d’un Néron ou d’un Caligula ; et c’est ainsi que peuvent surgir des épisodes comme ceux des Voulet et des Chanoine, dignes héritiers des bandits espagnols du xvie siècle. Le colonialisme produit ses effets logiques. Le crime des uns résulte rationnellement des théories des autres.
Lorsqu’on examine l’histoire contemporaine du Congo, de la Rhodésia, de la Nouvelle-Calédonie, on est entraîné à faire un retour en arrière. Les analogies surgissent en masse entre l’administration de ces pays et le régime que les premières nations conquérantes appliquèrent, en d’autres temps, dans leurs domaines.