Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/112

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accompagnèrent au bord de la mer ; un Patagon chantait pendant cette marche. Quelques-uns se mirent dans l’eau jusqu’aux genoux pour nous suivre plus longtemps. Arrivés à nos canots, il fallait avoir l’œil à tout. Ils saisissaient tout ce qui leur tombait sous la main. Un d’eux s’était emparé d’une faucille ; on s’en aperçut et il la rendit sans résistance. Avant que de nous éloigner, nous vîmes encore grossir leur troupe par d’autres qui arrivaient incessamment à toute bride. Nous ne manquâmes pas en nous séparant d’entonner un chaoua dont toute la côte retentit.

Ces Américains sont les mêmes que ceux vus par l’Étoile en 1766. Un de nos matelots, qui était alors sur cette flûte, en a reconnu un qu’il avait vu dans le premier voyage. Ces hommes sont d’une belle taille ; parmi ceux que nous avons vus, aucun n’était au dessous de cinq pieds cinq à six pouces, ni au-dessus de cinq pieds neuf à dix pouces ; les gens de l’Étoile en avaient vu dans le précédent voyage, plusieurs de six pieds. Ce qui m’a paru être gigantesque en eux, c’est leur énorme carrure, la grosseur de leur tête et l’épaisseur de leurs membres. Ils sont robustes et bien nourris, leurs nerfs sont tendus, leur chair est ferme et soutenue ; c’est l’homme qui, livré à la nature et à un aliment plein de sucs, a pris tout l’accroissement dont il est susceptible ; leur figure n’est ni dure ni désagréable, plusieurs l’ont jolie ; leur visage est rond et un peu plat ; leurs yeux sont vifs ; leurs dents extrêmement blanches n’auraient pour Paris que le défaut d’être larges ; ils portent de longs cheveux noirs attachés sur le sommet de la tête. J’en ai vu qui avaient sous le nez des moustaches plus longues que fournies. Leur couleur est bronzée comme l’est sans exception celle de tous les Américains, tant de ceux qui habitent la zone torride, que de ceux qui y naissent dans les zones tempérées et glaciales. Quelques-uns avaient les joues peintes en rouge ; il nous a paru que leur langue était douce, et rien n’annonce en eux un caractère féroce. Nous n’avons point vu leurs femmes ; peut-être allaient-elles venir, car ils voulaient toujours que nous attendissions, et ils avaient fait partir un des leurs du côté d’un grand feu, auprès duquel paraissait être leur camp, à une