Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/121

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nir d’eau et de bois pour la traversée de la mer Pacifique, et que le reste du détroit m’était inconnu, n’étant venu dans mon premier voyage que jusqu’auprès de la baie Française, je me déterminai à y faire nos provisions, d’autant plus que M. de Gennes la représente comme très sûre et fort commode pour ce travail ; ainsi, dès le soir même, nous mîmes tous nos bateaux à la mer.

Pendant la nuit les vents firent le tour du compas, soufflant par rafales très violentes ; la mer grossit et brisait autour de nous sur un banc qui paraissait régner dans tout le fond de la baie. Les tours fréquents que les variations du vent faisaient faire au vaisseau sur son ancre, nous donnaient lieu de craindre qu’elle ne surjaulât, et nous passâmes la nuit dans une appréhension continuelle. L’Étoile, mouillée plus en dehors que nous, fut moins molestée. À deux heures et demie du matin, j’envoyai le petit canot sonder l’entrée de la rivière à laquelle M. de Gennes a donné son nom. La mer était basse, et il ne passa qu’après avoir échoué sur un banc qui est à l’embouchure ; il reconnut que nos chaloupes ne pourraient approcher de la rivière qu’à mer toute haute, en sorte qu’elle ferait à peine par jour un voyage. Cette difficulté, jointe à ce que le mouillage ne me paraissait pas sûr, me détermina à conduire les vaisseaux dans une petite baie à une lieue dans l’est de celle-ci. J’y avais coupé sans peine en 1765 un chargement de bois pour les Malouines, et l’équipage du vaisseau lui avait donné mon nom. Je voulus auparavant aller m’assurer si les équipages des deux navires y pourraient commodément faire leur eau. Je trouvai qu’outre le ruisseau qui tombe au fond de la baie même, lequel serait consacré aux besoins journaliers et à laver, les deux baies voisines avaient chacune un ruisseau propre à fournir aisément l’eau dont nous avions besoin, sans qu’il y eût un demi-mille à faire pour l’aller chercher.

En conséquence, le 17 à deux heures après-midi, nous appareillâmes sous le petit hunier et le perroquet de fougue, nous passâmes au large de l’îlot de la baie Française, nous donnâmes ensuite dans une passe fort étroite, et dans laquelle il y a grand fond, entre la pointe du nord de cette baie et une île élevée longue d’un demi-