Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/138

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promptitude de la manœuvre sauva le bâtiment. La brise ensuite se renforça, et après avoir encore couru deux bords inutilement, je pris le parti de retourner dans la baie du port Galant, où nous mouillâmes à huit heures du soir par vingt brasses d’eau fond de vase. Nos bateaux, que j’avais laissés pour lever notre ancre, revinrent à l’entrée de la nuit avec l’ancre et le câble. Nous n’avions donc eu cette apparence de beau temps que pour être livrés à des alarmes cruelles.

La journée qui suivit fut plus orageuse encore que toutes les précédentes. Le vent élevait dans le canal des tourbillons d’eau à la hauteur des montagnes ; nous en voyions quelquefois plusieurs en même temps courir dans des directions opposées. Le temps parut s’adoucir vers les dix heures : mais à midi un coup de tonnerre, le seul que nous ayons entendu dans le détroit, fut comme le signal auquel le vent recommença avec plus de furie encore que le matin ; nous chassâmes et fûmes contraints de mouiller notre grande ancre et d’amener basses vergues et mâts de hune. Cependant les arbustes et les plantes étaient en fleurs et les arbres offraient une verdure assez brillante, mais qui ne suffisait pas pour dissiper la tristesse, qu’avait répandue sur nous le coup d’œil continué de cette région funeste. Le caractère le plus gai serait assombri dans ce climat affreux que fuient également les animaux de toute espèce, et où languit une poignée d’hommes que notre commerce venait de rendre encore plus infortunés.

Il y eut le 18 et le 19 des intervalles dans le mauvais temps ; nous relevâmes notre grande ancre, hissâmes nos basses vergues et mâts de hune, et j’envoyai le canot de l’Étoile, que sa solidité rendait capable de sortir presque de tout temps, pour reconnaître l’entrée du canal de la Sainte-Barbe. Le canot fut de retour le 20, et M. Landais, qui le commandait, me rapporta qu’ayant suivi la route et les remarques indiquées par l’extrait du journal de M. Marcant, qui l’a découvert et y a passé, il n’avait point trouvé de débouquement, mais seulement un canal étroit terminé par des banquises de glace et la terre, canal d’autant plus dangereux à suivre qu’il n’y a dans la