Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/150

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vîmes la côte à la distance d’environ deux milles. Partout nous vîmes la mer briser avec la même force, sans une seule anse, sans la moindre crique qui pût servir d’abri et rompre la lame. Perdant ainsi toute espérance de pouvoir y débarquer, à moins d’un risque évident de briser les bateaux, nous remettions le cap en route, lorsqu’on cria qu’on voyait deux ou trois hommes accourir au bord de la mer. Nous n’eussions jamais pensé qu’une île aussi petite pût être habitée, et ma première idée fut que sans doute quelques Européens y avaient fait naufrage. J’ordonnai aussitôt de mettre en panne, déterminé à tenter tout pour les sauver. Ces hommes étaient rentrés dans le bois ; bientôt après ils en sortirent au nombre de quinze ou vingt et s’avancèrent à grands pas ; ils étaient nus et portaient de fort longues piques qu’ils vinrent agiter vis-à-vis les vaisseaux avec des démonstrations de menaces ; après cette parade ils se retirèrent sous les arbres, où on distingua des cabanes avec les longues vues. Ces hommes nous parurent fort grands et d’une couleur bronzée. J’ai nommé l’île qu’ils habitent l’île des Lanciers. Étant à moins d’une lieue dans le nord-est de cette île, je fis signal à l’Étoile de sonder ; elle fila deux cents brasses de ligne sans trouver de fond.

Depuis ce jour, nous diminuâmes de voiles dans la nuit, craignant de rencontrer tout d’un coup quelques-unes de ces terres basses dont les approches sont si dangereuses. Nous fûmes obligés de rester en travers une partie de la nuit du 22 au 23, le temps s’étant mis à l’orage avec grand vent, de la pluie et du tonnerre. Au point du jour, nous vîmes une terre qui s’étendait par rapport à nous depuis le nord-est-quart-nord jusqu’au nord-nord-ouest. Nous courûmes dessus, et à huit heures nous étions environ à trois lieues de sa pointe orientale. Alors, quoiqu’il régnât une espèce de brume, nous aperçûmes des brisants le long de cette côte qui paraissait très basse et couverte d’arbres. Nous revirâmes donc au large, en attendant qu’un ciel plus clair nous permît de nous rapprocher de la terre avec moins de risque ; c’est ce que nous pûmes faire vers les dix heures. Parvenus à une lieue de l’île, nous la prolongeâmes, cherchant à découvrir un endroit propice au débarquement ; nous n’avions pas de fond avec