Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/153

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plus d’une barrique d’eau. Au reste, pour ménager l’eau douce, nous avons toujours pétri le pain avec de l’eau salée.

Le 2 avril, à dix heures du matin, nous aperçûmes dans le nord-nord-est une montagne haute et fort escarpée qui nous parut isolée ; je la nommai le Boudoir ou le pic de la Boudeuse. Nous courions au nord pour la reconnaître, lorsque nous eûmes la vue d’une autre terre dans l’ouest-quart-nord-ouest, dont la côte non moins élevée offrait à nos yeux une étendue indéterminée. Nous avions le plus urgent besoin d’une relâche qui nous procurât du bois et des rafraîchissements, et on se flattait de les trouver sur cette terre. Il fit presque calme tout le jour. La brise se leva le soir, et nous courûmes sur la terre jusqu’à deux heures du matin que nous remîmes pendant trois heures le bord au large. Le soleil se leva enveloppé de nuages et de brume, et ce ne fut qu’à neuf heures du matin que nous revîmes la terre dont la pointe méridionale nous restait à ouest-quart-nord-ouest ; on n’apercevait plus le pic de la Boudeuse que du haut des mâts. Les vents soufflaient du nord au nord-nord-est, et nous tînmes le plus près pour atterrer au vent de l’île. En approchant, nous aperçûmes au-delà de sa pointe du nord une autre terre éloignée, plus septentrionale encore, sans que nous pussions alors distinguer si elle tenait à la première île ou si elle en formait une seconde.

Pendant la nuit du 3 au 4, nous louvoyâmes pour nous élever dans le nord. Des feux, que nous vîmes avec joie briller de toutes parts sur la côte, nous apprirent qu’elle était habitée. Le 4, au lever de l’aurore, nous reconnûmes que les deux terres, qui, la veille, nous avaient paru séparées, étaient unies ensemble par une terre plus basse qui se courbait en arc et formait une baie ouverte au nord-est. Nous courions à pleines voiles vers la terre, présentant au vent de cette baie, lorsque nous aperçûmes une pirogue qui venait du large et voguait vers la côte, se servant de sa voile et de ses pagaies. Elle nous passa de l’avant et se joignit à une infinité d’autres qui, de toutes les parties de l’île, accouraient au-devant de nous. L’une d’elles précédait les autres ; elle était conduite par douze hommes nus qui nous présentèrent des branches de bananiers, et leurs démonstrations