Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/17

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Ce coup de vent, et le dégréement qu’il avait occasionné, me mirent dans le cas de faire les remarques suivantes sur l’état et les qualités de la frégate que je commandais :

1o La hauteur de notre mâture était excessive pour un voyage tel que celui que nous devions exécuter.

2o L’énorme rentrée de la frégate laissant trop peu d’ouverture à l’angle que font les haubans avec les mâts majeurs, ceux-ci n’étaient pas assez appuyés.

3o Le défaut précédent devenait d’une plus grande conséquence par la nature du lest que la grande quantité des vivres dont nous étions pourvus nous avait contraints d’embarquer. Quarante tonneaux de lest de fer, distribués des deux côtés de la carlingue à peu de distance de celle-ci, et douze canons de douze placés au pied de l’archipompe (nous n’en avions que quatorze de montés sur le pont), formaient un poids considérable, lequel, très abaissé au-dessous du centre de gravité et presque sur la carlingue, mettait la mâture en danger, pour peu qu’il y eût du roulis.

Ces considérations me déterminèrent à faire diminuer la hauteur de nos mâts, et à changer notre artillerie de douze contre du canon de huit.

Malgré ces changements, qui me furent accordés, je ne pouvais me dissimuler que mon bâtiment n’était pas propre à naviguer dans les mers qui entourent le cap de Horn. J’avais éprouvé, dans le coup de vent du 17 novembre, qu’il était mal lié dans tous ses hauts, et je devais m’attendre au risque d’avoir une partie de mon biscuit pourrie par l’eau qui, pendant le mauvais temps, s’introduirait infailliblement dans les soutes, inconvénient dont les suites seraient sans ressource dans le voyage que nous entreprenions. Je demandai donc qu’il me fût permis de renvoyer la Boudeuse des îles Malouines en France, sous les ordres du Chevalier de la Mote de Bournand, enseigne de vaisseau, et de continuer le voyage avec la seule flûte l’Étoile, dans le cas où les longues nuits de l’hiver m’interdiraient le passage du détroit de Magellan. J’obtins cette permission, dont je n’ai point fait usage, ayant, comme on le verra, passé le détroit