Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/19

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Le 5 à midi nous appareillâmes de la rade de Brest. Je fus obligé de couper mon câble à trente brasses de l’ancre, le vent d’est très frais et le jusant empêchant de virer à pic, et me faisant appréhender d’abattre trop près de la côte. Mon état major était composé de onze officiers, trois volontaires, et l’équipage, de deux cent-trois matelots, officiers mariniers, soldats, mousses et domestiques. M. le prince de Nassau Sieg-Hen avait obtenu du roi la permission de faire cette campagne. À quatre heures après-midi, le milieu de l’île d’Ouessant me restait au nord-quart-nord-est du compas, à la distance d’environ cinq lieues et demie ; ce fut d’où je pris mon point de départ sur le Neptune français, dont je me suis servi dans le cours du voyage.

Pendant les premiers jours, nous eûmes assez constamment les vents d’ouest-nord-ouest au ouest-sud-ouest et sud-ouest, grand frais. Le 14, à sept heures du soir, le vent étant assez frais à l’est-sud-est et la mer très grosse de la partie du ouest et du nord-ouest, dans un roulis, le bout de bas-bord de la grande vergue entra dans l’eau d’environ trois pieds, ce que nous n’aurions pas cru possible, la vergue étant haute.

Le 17 après midi, on eut connaissance des Salvages, le 18 de l’île de Palme, et le 19 de l’île de Fer. Ce qu’on nomme les Salvages est une petite île d’environ une lieue d’étendue de l’est à l’ouest ; elle est basse au milieu, mais à chaque extrémité s’élève un mondrain[1], une chaîne de roches, dont quelques-unes paraissent au-dessus de l’eau, s’étendant du côté de l’ouest à deux lieues de l’île ; il y a aussi du côté de l’est quelques brisants, mais qui ne s’en écartent pas beaucoup.

La vue de cet écueil nous avait avertis d’une grande erreur dans le calcul de notre itinéraire ; mais je ne voulus l’apprécier qu’après avoir eu connaissance des îles Canaries, dont la position est exactement déterminée. La vue de l’île de Fer me donna avec certitude cette correction que j’attendais. Le 19 à midi j’observai vingt-huit degrés deux minutes de latitude boréale ; en la faisant cadrer avec le relèvement de l’île de Fer, pris à cette même heure, je trouvai une

  1. Monticule de sable qu’on aperçoit d’un bâtiment aux environs des côtes.