Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/205

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leur tambour. Je fis aussitôt à ce canot le signal de ralliement, et je pris des mesures pour que nous ne fussions plus déshonorés par un pareil abus de la supériorité de nos forces.

Les canots de la Boudeuse reconnurent que cette côte, que nous avions cru continue, est un amas d’îles qui se croisent, en sorte que la baie n’est que la rencontre de plusieurs des canaux qui les séparent. Cependant ils y trouvèrent un assez bon fond de sable sur quarante, trente et vingt brasses d’eau ; mais son inégalité continuelle rendait ce mouillage peu sûr, pour nous surtout qui n’avions plus d’ancres à hasarder. Il fallait d’ailleurs y ancrer à une grande demi-lieue de la côte ; plus près, le fond était de roches. Ainsi les vaisseaux n’auraient pu protéger les bateaux, et le pays est si couvert qu’il eût toujours fallu avoir les armes à la main, pour mettre les travailleurs à l’abri des surprises. On ne devait pas se flatter que les naturels oubliassent le mal qu’on venait de leur faire, et consentissent à échanger des rafraîchissements. On remarqua ici les mêmes productions qu’à l’île des Lépreux. Les habitants y étaient aussi de la même espèce, presque tous noirs, nus, portant les mêmes ornements en colliers et en bracelets, et se servant des mêmes armes.

Nous passâmes la nuit à courir des bordées. Le 27 au matin, nous arrivâmes et prolongeâmes la côte environ à une lieue de distance. Vers dix heures, on distingua sur une pointe basse une plantation d’arbres disposés en allées de jardin. Le terrain sous les arbres était battu et paraissait sablé ; un assez grand nombre d’habitants se montraient dans cette partie ; de l’autre côté de la pointe, il y avait une apparence d’enfoncement, et je fis mettre les bateaux dehors. Ce fut en vain ; ce n’était qu’un coude que formait la côte, et nous la suivîmes jusqu’à la pointe du nord-ouest sans trouver de mouillage. Au-delà de cette pointe, les terres revenaient au nord-nord-ouest et s’étendaient à perte de vue, terres d’une élévation extraordinaire, et qui présentaient au-dessus des nuages une chaîne suivie de montagnes. Au reste, le temps fut sombre et par grains, avec de la pluie par intervalles. Plusieurs fois dans le jour, nous crûmes voir la terre devant nous, terre de brume, qui s’évanouissait dans les éclaircies.