Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/215

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borné. Je voulus la rallier pour la prolonger ensuite et chercher un mouillage. À trois heures après-midi, étant à près de trois lieues de terre, nous avions trouvé fond par quarante-huit brasses, sable blanc et morceaux de coquilles brisées ; nous portâmes alors sur une anse qui paraissait commode, mais le calme survint et nous consomma inutilement le reste de la journée. La nuit se passa à courir de petits bords, et le 30, dès la pointe du jour, j’envoyai les bateaux avec un détachement aux ordres du chevalier de Bournand, pour visiter le long de la côte plusieurs anses qui semblaient promettre un mouillage, le fond trouvé au large étant d’un augure favorable. Je le suivis à petites voiles, prêt à le joindre au premier signal qu’il nous en ferait.

Vers les dix heures, une douzaine de pirogues de différentes grandeurs vinrent assez près des navires, sans toutefois vouloir les accoster. Il y avait vingt-deux hommes dans la plus grande, dans les moyennes huit ou dix, deux ou trois dans les plus petites. Ces pirogues paraissaient bien faites : elles ont l’avant et l’arrière fort relevés ; ce sont les premières que nous ayons vues sans balancier, dans ces mers. Ces insulaires sont aussi noirs que les nègres d’Afrique, ils ont les cheveux crépus, mais longs, quelques-uns de couleur rousse. Ils portent des bracelets et des plaques au front et sur le cou ; j’ignore de quelle matière : elle m’a paru être blanche. Ils sont armés d’arcs et de zagaies ; ils poussaient de grands cris, et il parut que leurs dispositions n’étaient pas pacifiques. Je rappelai nos bateaux à trois heures. Le chevalier de Bournand me rapporta qu’il avait trouvé presque partout bon fond pour mouiller par trente, vingt-cinq, vingt, quinze, jusqu’à onze brasses, sable vaseux, mais en pleine côte et sans rivière qu’il n’avait vu qu’un seul ruisseau dans toute cette étendue. La côte ouverte est presque inabordable ; la vague y brise partout, les montagnes viennent s’y terminer au bord de la mer, et le sol est entièrement couvert de bois. Dans de petites anses il y a quelques cabanes, mais en petit nombre ; les insulaires habitent dans la montagne. Notre petit canot fut suivi quelque temps par trois ou quatre pirogues qui semblaient vouloir