Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/226

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le pied de notre mât d’artimon, qui s’était rongé dans la carlingue, et l’Étoile recoupa le sien, dont la tête était consentie. Nous prîmes aussi à bord de cette flûte la farine et le biscuit qui lui restaient encore pour nous, proportionnellement à notre nombre. Il se trouva moins de légumes qu’on n’avait cru, et je fus obligé de retrancher plus d’un tiers des gourganes qui faisaient notre soupe. Je dis notre, car tout se distribuait également. États-majors et équipages étaient à la même nourriture ; notre situation égalisait les hommes comme la mort. Nous profitâmes aussi du beau temps pour faire des observations essentielles.

Le 11 au matin, M. Verron établit à terre son quart-de-cercle et une pendule à secondes ; il s’en servit le même jour pour observer la hauteur méridienne du soleil. Le mouvement de la pendule fut déterminé avec exactitude par des hauteurs correspondantes, prises deux jours de suite. Il y avait le 13 une éclipse de soleil visible pour nous, et il fallait être en état de l’observer si le temps le permettait. Il fut très beau, et on put voir le moment de l’immersion et celui de l’émersion. M. Verron observait avec une lunette de neuf pieds ; le chevalier du Bouchage avec une lunette achromatique de Dollond, longue de quatre pieds ; mon poste était à la pendule. Le commencement de l’éclipse fut pour nous le 13 à dix heures cinquante minutes quarante-cinq secondes du matin, la fin à zéro heure vingt-huit minutes seize secondes de temps vrai, et sa grandeur de trois minutes vingt-deux secondes. Nous avons enterré une inscription sous l’endroit même où était la pendule, et nommé ce port le port Praslin. Il est situé par quatre degrés quarante-neuf minutes vingt-sept secondes de latitude australe, et cent quarante-neuf degrés quarante-quatre minutes quinze secondes de longitude à l’est de Paris.

Cette observation est d’autant plus importante qu’on peut enfin, par son moyen et par celui des observations astronomiques faites à la côte du Pérou, déterminer d’une façon sûre l’étendue en longitude du vaste océan Pacifique, jusqu’à ce jour si incertaine. Nous fûmes d’autant plus heureux d’avoir eu beau temps pendant la durée