Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/236

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se déranger pour nous voir passer ; et nous jugeâmes que ces habitants, qui n’étaient pas curieux, étaient contents de leur sort. Nous nommâmes cette île l’île des Anachorètes. À onze lieues dans l’ouest de celle-ci, on voit du haut des mâts une autre île basse.

La nuit fut très obscure, et quelques nuages fixes dans le sud nous y firent soupçonner de la terre. En effet, au jour, nous découvrîmes deux petites îles dans le sud-est-quart-sud trois degrés sud à huit ou neuf lieues de distance. On ne les avait pas encore perdues de vue à huit heures et demie, lorsqu’on eut connaissance d’une autre île basse dans l’ouest-quart-sud-ouest, et peu après, d’une infinité de petites îles qui s’étendaient dans le ouest-nord-ouest et le sud-ouest de cette dernière, laquelle peut avoir deux lieues de long ; toutes les autres ne sont, à proprement parler, qu’une chaîne d’îlots ras et couverts de bois, rencontre désastreuse. Il y avait cependant un îlot séparé des autres et plus au sud, lequel nous parut être le plus considérable. Nous dirigeâmes notre route entre celui-là et l’archipel d’îlots, que je nommai l’Échiquier, et que je voulais laisser au nord. Nous n’étions pas près d’en être dehors. Cette chaîne, aperçue dès le matin, se prolongeait beaucoup plus loin dans le sud-ouest que nous ne l’avions pu juger alors.

Nous cherchions, comme je viens de le dire, à la doubler dans le sud, mais à l’entrée de la nuit nous y étions encore engagés, sans savoir précisément jusqu’où elle s’étendait. Le temps, incessamment chargé de grains, ne nous avait jamais montré dans un même instant tout ce que nous devions craindre ; pour surcroît d’embarras, le calme vint aussitôt que la nuit et ne finit presque qu’avec elle. Nous la passâmes dans la continuelle appréhension d’être jetés sur la côte des courants. Je fis mettre deux ancres en mouillage et allonger leur biture sur le pont, précaution presque inutile, car on sonda plusieurs fois sans trouver le fond. Tel est un des plus grands dangers de ces terres ; presque à deux longueurs de navire des récifs qui les bordent, on n’a point la ressource de mouiller. Heureusement le temps se maintint sans orages ; même, vers minuit, il se leva une fraîcheur du nord qui nous servit à nous élever un peu dans le sud-est. Le vent fraîchit à mesure que le soleil montait, et il nous retira de ces îles basses, que je crois inhabitées ; au moins, pendant le temps qu’on s’est trouvé à portée de les voir, on n’y a distingué ni