Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/252

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sergent et vingt-cinq hommes ; sur toute l’île il n’y a pas cinquante blancs. Quelques autres nègreries y sont répandues, où l’on cultive du riz. Dans le temps où nous y étions, les forces des Hollandais y étaient augmentées par trois navires, dont le plus grand était le Draak, sénau de quatorze canons commandé par un Saxon nommé Kop-le-Clerc. Son équipage est de cinquante Européens, et sa destination de croiser dans les Moluques, surtout contre les Papous et les Céramois.

Les naturels du pays se divisent en deux classes : les Maures et les Alfouriens. Les premiers sont réunis sous la loge et soumis entièrement aux Hollandais, qui leur inspirent une grande crainte des nations étrangères. Ils sont observateurs zélés de la loi de Mahomet, c’est-à-dire qu’ils se lavent souvent, ne mangent point de porc, et prennent autant de femmes qu’ils en peuvent nourrir. Ajoutez à cela qu’ils en paraissent fort jaloux et les tiennent renfermées. Leur nourriture est le sagou, quelques fruits et du poisson. Les jours de fêtes, ils se régalent avec du riz que la Compagnie leur vend. Leurs chefs ou orencaies se tiennent auprès du Résident, qui paraît avoir pour eux quelques égards, et contient le peuple par leur moyen. La Compagnie a su semer parmi ces chefs des habitants un levain de jalousie réciproque qui assure l’esclavage général, et la politique qu’elle observe ici relativement aux naturels est la même dans tous ses autres comptoirs. Si un chef forme quelque complot, un autre le découvre et en avertit aussitôt les Hollandais.

Ces Maures au reste sont vilains, paresseux et peu guerriers. Ils ont une extrême frayeur des Papous, qui viennent quelquefois au nombre de deux ou trois cents brûler les habitations, enlever ce qu’ils peuvent et surtout des esclaves. La mémoire de leur dernière visite, faite il y a trois ans, était encore récente. Les Hollandais ne font point faire le service d’esclaves aux naturels de Boëro. La Compagnie tire ceux dont elle se sert ou de Célèbes ou de Céram, les habitants de ces deux îles se vendant réciproquement.

Les Alfouriens sont libres sans être ennemis de la Compagnie. Satisfaits d’être indépendants, ils ne veulent point de ces babioles que les Européens donnent ou vendent en échange de la liberté. Ils habitent épars ça et là les montagnes inaccessibles dont est rempli l’intérieur de l’île. Ils y vivent de sagou, de fruits et de la chasse.