Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/286

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gouvernements importants du cap de Bonne-Espérance, de Ceylan, de la côte de Coromandel, de la partie orientale de Java, de Macassar et d’Amboine, et ils y résident. Ces Edel-heers ont la prérogative de faire dorer en plein leurs voitures, devant lesquelles ils ont deux coureurs, tandis que les particuliers n’en peuvent avoir qu’un. Il faut de plus que tous les carrosses s’arrêtent quand ceux des Edel-heers passent, et alors hommes et femmes sont obligés de se lever. Le général, outre cette distinction, est le seul qui puisse aller à six chevaux ; il est toujours suivi d’une garde à cheval, ou au moins des officiers de cette garde et de quelques ordonnances ; lorsqu’il passe, hommes et femmes sont obligés de descendre de leurs voitures, et il n’y a que celles des Edel-heers qui chez lui puissent entrer jusqu’au perron. Ils ont seuls les honneurs du Louvre. J’en ai vu quelques-uns assez sensés pour rire en particulier avec nous de ces magnifiques prérogatives.

Le Conseil de justice juge souverainement et sans appel au civil comme au criminel. Il y a vingt ans qu’il condamna à mort un gouverneur de Ceylan. Cet Edel-heer fut convaincu d’avoir commis d’horribles concussions dans son gouvernement, et exécuté à Batavia dans la place qui est vis-à-vis de la citadelle. Au reste, la nomination du général des Indes, celle des Edel-heers et des conseillers de justice vient d’Europe. Le général et la haute Régence de Batavia proposent aux autres emplois, et leur choix est toujours ratifié en Hollande. Toutefois le général nomme en dernier ressort à toutes les places militaires. Un des plus considérables et des meilleurs emplois pour le revenu, après les gouvernements, est celui de commissaire de la campagne. Cet officier a l’inspection sur tout ce qui fait le domaine de la Compagnie dans l’île de Java, même sur les possessions et la conduite des divers souverains de l’ile ; il a de plus la police absolue sur les Javans sujets de la Compagnie. Cette police est fort sévère, et les fautes un peu graves sont punies de supplices rigoureux. La constance des Javans à souffrir des tourments barbares est incroyable ; mais quand on les exécute, il faut leur laisser des caleçons blancs et surtout ne pas leur trancher la tête. La Compagnie même compromettrait son autorité en refusant d’avoir pour eux cette complaisance ; les Javans se révolteraient. La raison en est simple : comme il est de foi dans leur religion qu’ils seraient mal reçus dans