Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/291

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feu et de la poudre, et tous, indépendamment d’un patois national, parlent bien le malais. Les Papous sont aussi continuellement en guerre avec la Compagnie et ses vassaux. On leur a vu des bâtiments armés de pierriers et montés de deux cents hommes. Le roi de Salviati, l’une de leurs plus grandes îles, vient d’être arrêté par surprise, comme il allait rendre hommage au roi de Ternate, duquel il est vassal, et les Hollandais le retiennent prisonnier.

Quoi de plus sage que le plan que nous venons d’exposer ? quelles mesures pouvaient être mieux concertées pour établir et pour soutenir un commerce exclusif ? Aussi la Compagnie en jouit-elle depuis longtemps, et c’est à quoi elle doit cet état de splendeur qui la rend plus semblable à une puissante République qu’à une société de marchands ; mais, ou je me trompe fort, ou le temps n’est pas loin auquel ce commerce précieux doit recevoir de mortelles atteintes. J’oserai le dire, pour en ôter l’exclusion, il n’y a qu’à le vouloir. La meilleure sauvegarde des Hollandais est l’ignorance du reste de l’Europe sur l’état véritable de ces îles, et le nuage mystérieux qui enveloppe ce jardin des Hespérides ; mais il est des difficultés que la force de l’homme ne peut vaincre, et des inconvénients auxquels toute sa sagesse ne saurait remédier. Les Hollandais peuvent bien construire à Amboine et Banda des fortifications respectables, ils peuvent les munir de garnisons nombreuses ; mais après quelques années des tremblements de terre, presque périodiques, viennent renverser de fond en comble tous ces ouvrages, et chaque année la malignité du climat emporte les deux tiers des soldats, matelots et ouvriers qu’on y envoie. Voilà des maux sans remède. Les forts de Banda, bouleversés ainsi il y a trois ans, sont à peine reconstruits aujourd’hui ; ceux d’Amboine ne le sont pas encore. D’ailleurs la Compagnie a pu parvenir à détruire dans quelques îles une partie des épiceries connues ; mais il en est qu’elle ne connaît pas, et d’autres même qu’elle connaît et qui se défendent contre ses efforts.

Aujourd’hui les Anglais fréquentent beaucoup les parages des Moluques, et ce n’est assurément pas sans dessein. Il y avait plusieurs années que de petits bâtiments, qui partaient de Bancoul étaient venus examiner les passages et prendre les connaissances relatives à cette navigation difficile. On a lu que les habitants de Bouton nous ont dit que trois navires anglais avaient depuis peu passé dans