Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/297

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de l’île Rodrigue, et le surlendemain celle de l’Île de France.

Le 5 novembre à quatre heures du soir, nous étions nord et sud de la pointe nord-est de l’île Rodrigue, d’où j’ai conclu la différence suivante de notre estime depuis l’île du Prince jusqu’à Rodrigue. M. Pingré y a observé soixante degrés cinquante-deux minutes de longitude à l’est de Paris, et à quatre heures je me trouvais, suivant mon estime, par soixante-et-un degrés vingt-six minutes. En supposant donc que l’observation faite sur l’île à l’habitation y ait été faite à deux minutes dans l’ouest de la pointe dont j’étais nord et sud à quatre heures, ma différence sur douze cents lieues de route était trente-quatre minutes sur l’arrière du vaisseau. La différence des observations faites le 3 par M. Verron a été, pour le même moment, de un degré douze minutes sur l’avant du vaisseau.

Nous avions eu connaissance de l’île Ronde le 7 à midi ; à cinq heures du soir, nous étions nord et sud de son milieu. Nous tirâmes du canon à l’entrée de la nuit, espérant qu’on allumerait le feu de la pointe aux Canonniers ; mais ce feu, mentionné par M. d’Aprés dans son instruction, ne s’allume plus, de manière qu’après avoir doublé le coin de mire, qu’on peut ranger d’aussi près qu’on veut, je me trouvai fort embarrassé pour éviter la bâture dangereuse qui avance plus d’une demi-lieue au large de la pointe aux Canonniers. Je louvoyai afin de m’entretenir au vent du port, tirant de temps en temps un coup de canon ; enfin, entre onze heures et minuit, il vint à bord un des pilotes du port entretenus par le roi. Je me croyais hors de peine, et je lui avais remis la conduite du bâtiment, lorsqu’à trois heures et demie il nous échoua près de la baie des Tombeaux. Par bonheur il n’y avait pas de mer, et la manœuvre que nous fîmes rapidement pour tâcher d’abattre du côté du large nous réussit ; mais que l’on conçoive quelle douleur mortelle c’eût été pour nous, après tant de dangers nécessaires heureusement évités, de venir échouer au port par la faute d’un ignorant auquel l’ordonnance nous forçait de nous livrer. Nous en fûmes quittes pour quarante-cinq pieds de notre fausse quille qui furent emportés.

Cet accident, dont il s’en est peu fallu que nous ne fussions la victime, me met dans le cas de faire la réflexion suivante. Lorsqu’on en veut à l’Île de France, et que l’on verra que de jour on ne peut atteindre l’entrée du port, la prudence exige que de bonne heure