Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/305

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une pêche favorable ; il n’y avait pas d’autre navire que le nôtre, la saison était avantageuse et nous entrions en nouvelle lune. Aussitôt après le départ des détachements, je fis toutes mes dispositions pour jumeller au-dessous du capelage mes deux mâts majeurs : savoir le grand mât avec un petit mât de hune, le gros bout en haut, et le mât de misaine, lequel était fendu horizontalement entre les jottereaux, avec une jumelle de chêne.

On m’apporta dans l’après-midi la bouteille qui renferme le papier sur lequel s’inscrivent ordinairement les vaisseaux de toutes nations qui relâchent à l’Ascension. Cette bouteille se dépose dans la cavité d’un des rochers de cette baie, où elle est également à l’abri des vagues et de la pluie. J’y trouvai écrit le Swallow, ce vaisseau anglais commandé par M. Carteret que je désirais de rejoindre. Il était arrivé ici le 31 janvier et reparti le premier février ; c’était déjà six jours que nous lui avions gagnés depuis le cap de Bonne-Espérance. J’inscrivis la Boudeuse et je renvoyai la bouteille.

La journée du 5 se passa à jumeller nos mâts sous le capelage, opération délicate dans une rade où la mer est clapoteuse, à tenir nos agrès et à embarquer les tortues. La pêche fut abondante ; on en avait chaviré dans la nuit soixante-dix, mais nous ne pûmes en prendre à bord que cinquante-six ; on remit les autres en liberté. Nous observâmes au mouillage neuf degrés quarante-cinq minutes de variation nord-ouest. Le 6 à trois heures du matin, les tortues et bateaux étant embarqués, nous commençâmes à lever nos ancres ; à cinq heures, nous étions sous voiles, enchantés de notre pêche et de l’espoir que notre premier mouillage serait dorénavant dans notre patrie. Combien nous en avions fait depuis le départ de Brest !

En partant de l’Ascension, je tins le vent pour ranger les îles du cap Vert d’aussi près qu’il me serait possible. Le 11 au matin, nous passâmes, la ligne pour la sixième fois dans ce voyage, par vingt degrés de longitude estimée. Quelques jours après, comme, malgré la jumelle dont nous l’avions fortifié, le mât de misaine faisait une très mauvaise figure, il fallut le soutenir par des pataras, dégréer le petit perroquet, et tenir presque toujours le petit hunier aux bas-ris et même serré.

Le 25 au soir, on aperçut un navire au vent et de l’avant à nous ; nous le conservâmes pendant la nuit, et le lendemain nous le joignî-