Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/36

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jusqu’au détroit de Magellan. Il est vrai qu’au sud de Buenos-Ayres il n’y a plus aucun établissement ; la seule nécessité de se pourvoir de sel fait pénétrer les Espagnols dans ces contrées. Il part à cet effet tous les ans de Buenos-Ayres un convoi de deux cents charrettes, escorté par trois cents hommes ; il va, par quarante degrés environ, se charger de sel dans les lacs voisins de la mer, où il se forme naturellement. Autrefois les Espagnols l’envoyaient chercher par des goélettes dans la baie Saint-Julien.

Je remets au second voyage que les circonstances nous ont forcés de faire dans la rivière de la Plata, à parler des missions du Paraguay ; ce sera le temps d’entrer dans ce détail, en rapportant l’expulsion des Jésuites, de laquelle nous avons été témoins.

Le commerce de la province de la Plata est le moins riche de l’Amérique espagnole ; cette province ne produit ni or ni argent, et ses habitants sont trop peu nombreux pour qu’ils puissent tirer du sol tant d’autres richesses qu’il renferme dans son sein ; le commerce même de Buenos-Ayres n’est pas aujourd’hui ce qu’il était il y a dix ans : il est considérablement déchu, depuis que ce qu’on y appelle l’internation des marchandises n’est plus permise, c’est-à-dire depuis qu’il est défendu de faire passer les marchandises d’Europe par terre de Buenos-Ayres dans le Pérou et le Chili ; de sorte que les seuls objets de son commerce avec ces deux provinces sont aujourd’hui le coton, les mules et le maté, ou l’herbe du Paraguay. L’argent et le crédit des négociants de Lima ont fait rendre cette ordonnance, contre laquelle réclament ceux de Buenos-Ayres. Le procès est pendant à Madrid, où je ne sais quand ni comment on le jugera. Cependant Buenos-Ayres est riche, j’en ai vu sortir un vaisseau de registre avec un million de piastres ; et si tous les habitants de ce pays avaient le débouché de leurs cuirs avec l’Europe, ce commerce seul suffirait pour les enrichir. Avant la dernière guerre il se faisait ici une contrebande énorme avec la colonie du Saint-Sacrement, place que les Portugais possèdent sur la rive gauche du fleuve, presque en face de Buenos-Ayres ; mais cette place est aujourd’hui tellement resserrée par les nouveaux ouvrages dont les Espagnols l’ont