Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/41

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sud-est corrigé, afin de prolonger pendant la nuit à cette même distance de quatre lieues la côte des îles, laquelle court est-sud-est et ouest-nord-ouest corrigés. Les vents étaient au sud-ouest, et nous courions tribord amures, lorsqu’à dix heures et demie, quelques moments après le lever de la lune, nous vîmes une pointe de terre de l’avant à nous ; nous arrivâmes pour l’éviter ; mais bientôt après, ayant aperçu distinctement que cette pointe, dont nous n’étions plus guère qu’à une lieue, s’étendait fort au large, nous prîmes sur-le-champ le plus près bâbord, le cap au nord-ouest. Ne pouvant doubler même à cette route, il fallut courir plusieurs bordées pour nous élever. Ce ne fut qu’à trois heures du matin, qu’étant sortis de la baie dans laquelle nous avions été engagés, nous pûmes reprendre notre première route, prolongeant la côte à l’est-sud-est corrigé. Cette pointe, qui nous a mis en danger, est la pointe de l’est du détroit des Malouines, laquelle s’avance au moins à quatre lieues au large plus que la côte. Notre situation était d’autant plus critique que nous n’avions pas la ressource de mouiller, car, dans l’espèce de baie formée par cette pointe, le fond est de roches.

Le 23 au soir, nous entrâmes et mouillâmes dans la grande baie où mouillèrent aussi le 24 les deux frégates espagnoles. Elles avaient beaucoup souffert dans leur traversée, le coup de vent du 16 les ayant obligées d’arriver vent arrière, et la commandante ayant reçu un coup de mer qui avait emporté ses bouteilles, enfoncé les fenêtres de sa grand’chambre, et mis beaucoup d’eau à bord. Presque tous les bestiaux embarqués à Montevideo pour la colonie avaient péri par le mauvais temps. Le 25, les trois bâtiments entrèrent dans le port et s’y amarrèrent.

Le 1er avril, je livrai notre établissement aux Espagnols, qui en prirent possession en arborant l’étendard d’Espagne, que la terre et les vaisseaux saluèrent de vingt-et-un coups de canon au lever et au coucher du soleil. J’avais lu aux Français habitants de cette colonie naissante une lettre du roi, par laquelle Sa Majesté leur permettait d’y rester sous la domination du roi catholique. Quelques familles profitèrent de cette permission : le reste, avec l’état-major, fut em-