Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/59

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benthine. Pour connaître l’intérieur de cette plante, nous la coupâmes exactement sur le terrain et la renversâmes. Nous vîmes en la brisant qu’elle part d’un pied d’où s’élèvent une infinité de jets concentriques, composés de feuilles en étoiles enchâssées les unes sur les autres et comme enfilées par un axe commun. Ces jets sont blancs jusqu’à peu de distance de la surface, où l’air les colore en vert ; en les brisant, il en sort un suc abondant et laiteux, plus visqueux que celui des thytimales ; le pied est une source abondante de ce suc, ainsi que les racines, qui s’étendent horizontalement et vont provigner à quelque distance, de sorte qu’une plante n’est jamais seule. Notre gommier paraît se plaire sur le penchant des collines, et toutes les expositions lui sont indifférentes. Ce ne fut que la troisième année qu’on chercha à connaître sa fleur et sa graine ; l’une et l’autre sont fort petites. Cette singulière plante pourrait être utile en médecine ; plusieurs matelots se sont servis de sa résine avec succès pour se guérir de légères blessures. Une chose digne de remarque, c’est que cette plante détachée du terrain, retournée à l’air et ainsi exposée au lavage des pluies, perd alors toute sa résine. Comment accorder cela avec sa dissolution dans les sels spiritueux ? Lorsqu’elle a perdu sa résine, elle est d’une légèreté surprenante et brûle comme de la paille.

Après cette plante extraordinaire, on en rencontrait une d’une utilité éprouvée et qui lui a valu son nom ; elle forme un petit arbrisseau, et quelquefois rampe sous les herbes et le long des côtes. Nous la goûtâmes par fantaisie, et nous lui trouvâmes un goût de sapinette ; ce qui nous donna l’idée d’essayer d’en faire de la bière. Nous avions apporté une certaine quantité de mélasse et de grains ; les procédés que nous employâmes réussirent au delà de nos souhaits, et l’habitant, une fois instruit, ne manqua jamais de cette boisson que la plante rendait anti-scorbutique ; on l’employa très spécifiquement dans des bains que l’on faisait prendre aux malades qui venaient de la mer. Sa feuille est petite et dentelée, d’un vert clair. Lorsqu’on la brise entre les doigts, elle se réduit en une espèce de farine un peu glutineuse et d’une odeur aromatique.