Page:Louis Antoine de Bougainville - Voyage de Bougainville autour du monde (années 1766, 1767, 1768 et 1769), raconté par lui-même, 1889.djvu/85

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tions de toute espèce aux îles Malouines, d’où elles devaient passer dans la mer du sud pour y prendre les Jésuites du Chili et du Pérou. Il y avait de plus le chambekin l’Andalous, arrivé du Ferrol à la fin de juillet en compagnie d’un autre chambekin nommé l’Aventurero ; mais celui-ci s’était perdu sur la tête du banc aux Anglais, et l’équipage avait eu le temps de se sauver. L’Andalous se préparait à aller porter des missionnaires et des présents aux habitants de la terre de Feu, le roi catholique voulant leur témoigner sa reconnaissance des services qu’ils avaient rendus aux Espagnols du navire la Conception, lequel en 1765 avait péri sur leurs côtes.

Je descendis à Baragan, où le chevalier du Bouchage avait déjà fait transporter une partie des bois qui nous étaient nécessaires. Il les avait rassemblés avec peine et à grands frais à Buenos-Ayres dans l’arsenal du roi et dans quelques magasins particuliers, approvisionnés les uns et les autres par les débris des vaisseaux qui font naufrage dans la rivière. On ne trouvait d’ailleurs à Baragan aucune espèce de ressources, mais bien des difficultés de plusieurs genres et tout ce qui peut forcer à n’opérer que lentement. La Encenada de Baragan n’est en effet qu’un mauvais port formé par l’embouchure d’une petite rivière qui se jette dans le fleuve de la Plata sur la rive du sud, dix à douze lieues à l’est-sud-est de Buenos-Ayres. Cette embouchure, tournée à l’ouest-nord-ouest, est directement opposée au cours du fleuve. Elle peut avoir un quart de lieue de largeur, mais il n’y a de l’eau qu’au milieu, dans un canal étroit et qui se comble tous les jours, où peuvent entrer des vaisseaux qui ne tirent que douze pieds : dans tout le reste, il n’y a pas six pouces d’eau à marée basse ; or, comme les marées sont fort irrégulières dans la rivière de la Plata, qu’elles sont hautes ou basses quelquefois huit jours de suite selon les vents qui règnent, le débarquement des chaloupes y essuie les plus grandes difficultés. D’ailleurs nuls magasins à terre, quelques maisons ou plutôt des chaumières construites avec des joncs, couvertes de cuir, dispersées sans ordre sur un sol brut et habitées par des hommes qui ne connaissent d’autre bonheur que celui de ne rien faire. Les bâtiments qui tirent trop