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l’Océan, au fond d’un grand golfe dont l’ouverture est vers l’ouest ; il possède un grand fleuve, large de 10 li, qui du nord-ouest coule à la mer vers l’est. Le pays est large de 3,000 li. La terre y est très-plane. Les eaux y envahissent un espace de 70 li. Il y a dans ce royaume des cités, des bourgs, des palais. De la capitale à la mer il y a 500 li. Il y a dans le pays des cannes à sucre, des arbres produisant la pomme-cannelle et une grande quantité de plantations de bétel. Il n’y a pas de puits ou de fontaine dans les maisons ; un certain nombre de familles se réunissent pour creuser un grand étang dont elles se servent en commun. On trouve au Fou-nan des crocodiles qui ont plus de 20 pieds de long et marchent sur quatre pieds, dont la gueule a 6 ou 7 pieds et qui dévorent les cerfs et les hommes qu’ils rencontrent. »

« Les autres productions indigènes sont l’or, l’argent, le cuivre, l’étain, le plomb, le bois odoriférant appelé Tchen-chouy-hiang et qui ne flotte pas, l’ébène, des pierres précieuses que l’on trouve au fond des eaux, les plumes de paon et d’autres oiseaux de plusieurs couleurs. Au sud du Fou-nan est un autre royaume appelé Tien-siun, à l’est duquel se trouvent cinq petits rois tributaires du Fou-nan. Celui-ci touche à l’est à Kiao-tcheou, à l’ouest aux royaumes de Thien-tchou, Ngan-hi et Kiao-ouay[1]. Tous ces pays font ensemble un très-grand commerce. »

Les indications géographiques qui précèdent peuvent à peine laisser un doute sur la situation du Fou-nan aux embouchures du Cambodge. Aucun autre point de l’Indo-Chine ne répond aussi bien aux particularités que signalent les auteurs chinois. Pour eux, c’est-à-dire pour des gens qui venaient du N.-E., le golfe de Siam doit paraître en effet s’ouvrir vers l’ouest. On chercherait en vain à appliquer au Menam la description du fleuve qui arrose le Fou-nan, tandis que le Mékong se plie admirablement à toutes les exigences de cette description. On ne peut donc admettre que la capitale du Fou-nan puisse être confondue avec une des villes où dominait, à cette époque reculée, la race siamoise et qui se trouvaient beaucoup plus au nord dans la vallée du Menam[2]. Nous allons voir que la concordance des récits des auteurs chinois sur le Founan avec les traditions cambodgiennes ne peut laisser de doute sur l’identification que nous proposons.

  1. Tien-siun est sans doute un royaume de Sumatra, peut-être Menangeabao, ou du moins le royaume qui l’a historiquement précédé. Les rois tributaires du Fou-nan doivent être cherchés à l’extrémité de la péninsule malaise. Kiao-tcheou est un des noms chinois de la capitale du Tong-king. Thien-tchou désigne l’Inde. J’ignore ce que désignent les noms de Ngan-hi et Kiao-ouay. Le Pien y tien (Historiens des Liang) ajoute ici des renseignements excessivement curieux et intéressants sur le royaume de Pi-kien, situé au milieu de l’Océan, au delà du royaume de Tien-siun, à 8,000 li du Fou-nan.
  2. Wilford faisait du Fou-nan un royaume malais, situé dans une île à l’est de Siam (Asiatic Researches, t. IX, p. 61) ; Pauthier (J. A., août 1839, p. 283) l’identifiait au Pégou et à la Birmanie : peut-être la domination du Fou-nan s’est-elle en effet étendue jusque-là : nous verrons qu’il y a de nombreux rapprochements à faire entre le Pégou et le Cambodge. Bastian, après Lassen (Indische Alterthumskunde, t. IV, p. 414), Stanislas Julien (J. A., août 1847, p. 97), et Wade (Bowring’s Kingdom and people of Siam, t. I, p. 70-72), fait du Fou-nan le royaume de Siam. Cette dernière identification me paraît fausse au point de vue historique, si elle est partiellement exacte au point de vue géographique. Aucune des données fournies par les historiens chinois ne peut se concilier avec les traditions siamoises ; elles cadrent au contraire admirablement avec celles des Cambodgiens.