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de leur caste et devenus Vrishalas ou Soudras, pour avoir cessé d’observer les lois brahmaniques, et avoir rompu toutes relations avec les Brahmanes ; ils sont appelés collectivement Dasyus avec les Dravidas, Yavanas, Sakas, Pahlavas, Kiratas, etc.[1]. Leur langage était d’origine aryenne et formait un dialecte du sanskrit[2] ; il faut chercher leur résidence dans le nord-ouest de l’Inde, aux environs de Gazni, dans la région à laquelle les Grecs donnaient autrefois le nom d’Arachosie et de Gédrosie. Un passage du Majjhima-Nikaya[3], livre pali de la collection des Bouddhistes du sud, confirme ce fait que Wilford a démontré le pre-

    Ramayana, ch. vi, cl. 24. « … Cette ville (Ayodhya) était remplie de chevaux semblables aux coursiers d’Indra et nés, ceux-ci dans le Kamboja, ceux-là dans le pays de Vanayou… » Ch. lvi, cl. 2 et 3 « … elle (la vache de Vaçishta), d’un de ses rauques mugissements, produisit les Kambojas étincelants comme le soleil ; les Pahlavas, des javelots à la main, sortirent de son poitrail ; les Yavanas, de ses parties génitales… » (Trad. Gorresio, t. I, p. 35 et 150.)

    Mahabharata, liv. II, vers. 1031-2. « … Le fils d’Indra conquit les Daradas avec les Kambojas et les Dasyus qui demeurent dans la région du N.-E… Saineya, exerçant son pouvoir, convertit la terre en une masse de boue en répandant le sang de milliers de Kambojas, Çakas… le sol était jonché des têtes tondues et barbues des Dasyus. (Muir, Original sanskrit Texts, t. I, p. 179.)

    Il y a encore dans ces deux poëmes de nombreux passages où se trouve le nom de Kamboja ; mais ils n’apprennent rien autre que ce qu’on peut induire des citations précédentes.

    Dans le Vishnou Pourana et le Harivansa, il est dit qu’un des descendants d’Harichandra était sur le point de détruire les Sakas, les Yavanas, les Kambojas, les Paradas et les Pahlavas, quand ceux-ci réclamèrent l’intercession de Vaçishta, qui obtint leur grâce ; mais ils furent déchus de leur caste, durent abandonner leur costume, cesser l’étude des Védas et l’oblation du feu ; en un mot, ils devinrent Mlecchas. (Muir, loc. cit., p. 181, Wilson, Vishnu Purâna (éd. Hall), t. III, p. 294.)

    Dans le Mudra Racshasa, pièce dramatique citée par Wilford (As. Res., t. V, p. 263), Parvateswara, roi du Népaul, énumère les peuples sur l’alliance desquels il peut compter pour aider Chandra Gupta à détrôner le fils de Nanda : ce sont les Yavanas ou Grecs, les Sakas ou Indo-Scythes, les Kambojas, les Kiratas.

  1. Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I (2e édit.), p. 521, 646, t. II, p. 45 ; Muir, loc. cit., p. 177.
  2. Muir (op. cit., t. II, p. 161) cite un passage où Yaska, auteur du Nirukta, commentaire sur un ancien vocabulaire de mots védiques, cherche à prouver que le vieux langage des Védas n’est pas le même que le sanskrit ordinaire : « Savati, comme verbe « aller » n’est employé que dans la langue des Kambojas ; son dérivé Sava « un corps, un cadavre » est en usage chez les Aryas. » Muir ajoute : « Here, it will be observed that pure sanskrit words are referred to as being used in the speech not only of the Aryas, but also of the Kambojas, a people living to the north-west who are distinguished from the Aryas. » Le Mahabhashya ou grand commentaire sur la grammaire de Panini, dit aussi : « Savati, dans le sens d’aller, n’est employé que par les Kambojas ; les Aryas se servent de ce mot dans le sens de changement pour un corps mort. » Quelques indianistes pensent que le passage du Nirukta cité plus haut n’est qu’une interpolation. M. Weber ne partage pas cette opinion et s’appuie sur ce fait que la racine citée par Yaska comme usitée sous sa forme verbale par les Kambojas est d’un usage très-fréquent en zend, langue que l’on assimile généralement à l’ancien bactrien. Le même savant cite comme une autre preuve des rapports qui existèrent anciennement entre les Kambojas et les Aryas, le nom de Kamboja Aupamanyava porté par un des docteurs du Samaveda. Ces renseignements, qui appartiennent à la phase la plus ancienne de la littérature indienne, nous montrent, à l’époque védique, les Kambojas presque sur le même pied que les Aryas dont ils sont les voisins à l’ouest et qu’ils séparent des Iraniens. Le nom de Kamboja était connu dans l’Iran et se retrouve dans plusieurs noms de fleuves et d’hommes, Cambyse par exemple (Kambujiya). Le professeur Roth (Zur Geschichte und Literatur des Weda, p. 67) pense que le passage du Nirukta prouve que la grammaire sanskrite était étudiée chez les Kambojas et que ce ne fut qu’à l’époque post-védique de Manou, du Ramayana et des Pouranas qu’ils furent considérés comme barbares. Cf. Weber, Indische Literatur, 169 ; Indische Studien, t. II, p. 492 ; t. IV, p. 378 ; t. X, p. 67 ; Indische Streifen, t. II, p. 470-492. Muir, loc. cit., p. 369. Roth, Yaska’s Nirukta. Erlaüt. 17-18. M. Müller, Zeitschrift der deutschen morgenl. Gesellschaft, t. VII, p. 373. Panini enseigne dans une règle spéciale que le mot Kamboja peut s’employer seul pour signifier le roi des Kambojas.
  3. Voy. d’Alwis, An introduction to Kachchayana’s Grammar, p. xliv et suiv.