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garde dans les souvenirs locaux le nom de Couc Thloc. Le Fou-nan est mentionné dès la fin du douzième siècle avant notre ère dans un fragment des annales chinoises qui est cité par les écrivains annamites : « Les ambassadeurs de Giao-chi (Kiao-tchi) étant venus à la cour de Thanh-vu’ong (Tching-ouang) pour faire hommage, l’oncle de ce jeune prince, le régent Chu-cong (Tcheou-kong), leur donna cinq chariots qui avaient la propriété d’aller toujours vers le sud. Avec ces chars, les ambassadeurs passèrent par Pho-nam, petit royaume situé sur les bords de la mer, gouverné alors par la reine Say Lieu et auquel on arrivait après 3,000 li à partir de l’ouest (1109 Av. J.-C.[1]. » Le nom de Lieu (en chinois Lieou) est peut-être la transcription d’un titre indigène ; dans tous les cas, il est assez curieux de le retrouver porté encore par une autre reine du Fou-nan, plusieurs siècles après, au moment de l’arrivée de Prea Thong.

Dans l’intervalle, il s’était passé au Fou-nan un fait très-considérable : c’est l’introduction des premiers prédicateurs bouddhistes. Ici la tradition indigène relative à l’arrivée au Cambodge, vers le troisième siècle avant notre ère, d’émigrants venant de Bénarès et appelés Chhvea pream (Voy. p. 99) trouve une confirmation remarquable dans le seul livre bouddhiste qui fasse mention d’une façon indiscutable du Kambodja de l’Indo-Chine : « L’Inde orientale, dit Târanâtha[2], se compose de trois parties. Bhangala et Odiviça (Orissa) appartiennent à Aparantaka et s’appellent la partie orientale d’Aparantaka. Les pays du nord-est, Kamarupa, Tripura (Tipperah) et Hasama (Assam) s’appellent Girivarta, c’est-à-dire « entouré de montagnes ». De là, en se dirigeant vers l’est, le long de la chaîne septentrionale, sont les contrées de Nangata, le pays Pukham, qui confine à l’Océan, Balgu, etc., le pays Rakhang (Arakan), Hamsavati (Pégou), Marko et les autres parties du royaume Munjang ; plus loin Tschampa, Kambodscha et les autres ; tous ces pays sont en général nommés Koki. »

« Ce fut dans ces pays Koki qu’apparurent, dès le temps du roi Açoka, des sections du clergé, dont le nombre s’augmenta plus tard et devint considérable ; mais jusqu’au moment de l’apparition de Vasubandhu (aux environs de notre ère), ce ne furent que des Çravakas[3]. » Ainsi, dès le troisième siècle avant notre ère, le bouddhisme, dans sa forme la plus simple, fut introduit au Cambodge ou Fou-nan. Quant au nom de Chhvea pream, que la tradition locale donne à ces premiers prédicateurs dont elle fait les ancêtres des

  1. P. Legrand de la Liraye, op. cit., p. 14. J’ignore à quel ouvrage chinois est emprunté ce passage que je ne retrouve pas intégralement dans les citations qui ont été faites par Klaproth, Pauthier, Biot, etc., du Li tai ki sse et du Thoung kien kang mou. D’après ce dernier ouvrage, les ambassadeurs ne venaient pas de Kiao-tchi, mais de Yue-chang-chi, pays situé plus au sud, ce qui justifierait mieux l’itinéraire suivi : « Les ambassadeurs… parvinrent aux bords de la mer, les suivirent depuis les royaumes de Fou-nan et de Lin-y et arrivèrent l’année suivante dans leur pays. » (Klaproth, Lettre sur l’invention de la boussole, p. 80-81.) Le nom de Yue-chang est un des anciens noms du Lin-y (Ta thsing y thoung tchi, k. 440, article Tchen-tching), royaume qui a fini par être absorbé par les Annamites, et cela a pu occasionner une confusion dans la traduction du P. Legrand de la Liraye. Le pays de Yue-chang-chi dont il est ici question a été placé par Klaproth aux environs de la presqu’île de Malacca, par Pauthier sur la côte d’Afrique.
  2. Geschichte des Buddhismus in Indien aus dem Tibetischen übersetzt von A. Schiefner, ch. xxxix, p. 262. Cette histoire a été terminée en 1608 a. d. La description de l’Inde orientale qui y est contenue se rapporte donc à la fin du seizième siècle.
  3. « Auditeurs », représentants de la plus ancienne forme du bouddhisme.