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qui régnait en 1283-1292 dans cette ancienne métropole des Thai, se nommait Phra Ram Kamheng, et que son royaume s’étendait depuis Muong Phe et Muong Nan au nord, jusqu’à Petchaboury et les bords de la mer au sud, et des rives du Mékong à l’est, au pays de Xot et de Rangkapadi (le Pégou) et aux rivages de l’Océan à l’ouest. Ce roi, après avoir aidé son père Sinitharathija à vaincre le roi du pays de Xot nommé Samxon, après être resté ensuite le fidèle sujet de son frère aîné, monta sur le trône à la mort de celui-ci et fixa l’alphabet à employer par les Thaï. C’est sans doute Phra Ram Kamheng qui venait de faire la guerre au Cambodge au moment du passage de l’ambassadeur chinois. Les Mons ou Pégouans paraissent avoir contribué aussi à ruiner par de fréquentes incursions les établissements des Cambodgiens dans le sud de la vallée du Menam. Nous croirions volontiers que Phra Ram Kamheng est de race Thai-niai, et qu’il est le même que le prince appelé Renya men Yea dans les annales de Labong, qui fonda la ville de Xieng Mai en 1293. La tribu laotienne, qui est devenue les Thaï noi ou les Siamois d’aujourd’hui, formait à ce moment un petit royaume distinct sur la branche occidentale du Menam, et ce fut elle qui, un demi-siècle après, s’avança dans le sud et fonda la ville d’Ayuthia à l’emplacement même où, d’après certaines traditions, se serait élevée la ville cambodgienne de Lovec[1].

Le roi qui régnait à Angcor, à la fin du treizième siècle, était le gendre de son prédécesseur. Celui-ci aimait tendrement sa fille et lui laissa dérober le Prea khan ou l’épée royale, à la garde de laquelle sont affectés les Bakou[2] ; le fils du roi, qui se trouvait ainsi frustré de la succession, voulut lever des troupes ; mais son beau-frère, en ayant été prévenu, lui fit couper les doigts des pieds, et le fit empoisonner ensuite. Nous trouvons mentionné dans le récit de l’ambassadeur chinois l’usage des Cambodgiens de prendre comme esclaves les habitants des montagnes. L’inscription de Sokothay constate que les Thaï faisaient la guerre aux tribus sauvages dans le même but.

    cycle duodénaire pour la désignation des années permet à cet égard une vérification qui n’est pas sans valeur. En comparant les noms d’années cités dans la chronique cambodgienne, à partir de 1346, et ceux que contient l’inscription de Sokothay, on les trouve en parfaite coïncidence ; une seule date, celle de 1205, est rapportée à l’année du Cheval, alors qu’elle devrait, d’après la chronique cambodgienne, porter le nom d’année de la Chèvre. Il est facile de reconnaître là une méprise du traducteur, les mots indigènes qui signifient dans ce cas cheval et chèvre, momi et morne, étant presque identiques. Le docteur Bastian a commis une erreur de même nature dans la traduction de l’inscription d’Angcor Wat (J. A. S. B., t. XXXVI, 1re part., p. 76), qui porte la date de 1633, correspondant à 1701 A. D., en indiquant le Dragon au lieu du Serpent pour le nom de l’année. On éviterait ces confusions, en donnant, sans les traduire, les noms indigènes des années (voyez ci-dessus, p. 93, note 2). Il est intéressant de constater qu’au xiiie siècle les Siamois se servaient encore de l’ère et du calendrier cambodgiens. On trouve dès cette époque les noms d’années chinois et cambodgiens en parfaite coïncidence.

  1. Voy. Chinese repository, t. XX, p. 343, le récit des origines siamoises d’après le feu roi de Siam. Il y a peut-être ici une confusion entre Lophaboury et Ayuthia. La première de ces deux villes est sans doute l’ancienne ville de Lavo ou Lovec que mentionnent les chroniques siamoises.
  2. Les Bakou forment au Cambodge une corporation particulière, à laquelle est confiée aujourd’hui encore la garde de l’épée royale. Ils se disent de la race des brahmanes, dont ils ont conservé quelques usages. Ils portent les cheveux longs et sont exempts d’impôts et de corvée. Leur nom paraît dérivé de Bagoh, appellation vulgaire d’Hangsavadi, l’ancienne capitale du Pégou. J’ai déjà signalé les relations nombreuses qui ont existé entre ce pays et le Cambodge. L’épée royale conservée au Cambodge porte, assez finement gravés, plusieurs sujets tous brahmaniques. Voyez, sur les Bakou, Janneau, op. cit., p. 63, et Bastian, op. cit., t. I, p. 455.