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En 1849, mourut, à l’âge de 77 ans, le fameux général Bodin[1]. Ang Duong, qui lui devait la couronne, lui fit élever une statue dans une pagode d’Oudong et envoya à Bankok une grande quantité d’étoffes de soie pour la cérémonie des funérailles.

L’influence siamoise paraissait en ce moment absolument prépondérante à Oudong, où résidait un mandarin siamois chargé de communiquer à Ang Duong les volontés de Bankok. L’empereur Tu-duc avait rendu au Cambodge Kompot et Compong Som, qui avaient été occupés par les Annamites jusqu’en 1848. La guerre dans laquelle ce souverain se trouvait engagé avec la France paraissait devoir éloigner toute chance de nouvelle intervention dans les affaires du Cambodge. Les intrigues et les menaces siamoises avaient empêché Ang Duong de recevoir un envoyé français, M. de Montigny, qui s’était arrêté en 1855 à Kompot dans le but de faire un traité de commerce avec le Cambodge. Ce petit royaume, ne pouvant plus trouver nulle part un point d’appui contre la pression siamoise, semblait sur le point de disparaître comme État indépendant.

En 1858, un Malais nommé Tuon-lim, s’étant soulevé et ayant entraîné dans sa rébellion tous les Chams du royaume, se réfugia avec ses principaux complices à Chaudoc, auprès des Annamites. L’année suivante, Ang Duong réclama les coupables ; les Annamites non-seulement refusèrent de les livrer, mais leur fournirent des soldats. Les hostilités commencèrent immédiatement sur toute l’étendue des frontières des deux pays. Ang Duong mit le gouverneur de Peam, nommé Kep, à la tête de ses troupes, et celui-ci refoula les Annamites et les Malais dans le Trang du Sud. Ang Duong mourut à ce moment (1860). L’année précédente, il s’était rendu à Kompot où il avait accueilli avec bienveillance le voyageur français Mouhot.

L’obbarach succéda à son père et prit le titre de Prea Noroudam, dont les Européens ont fait Norodon ; mais ses frères fomentèrent contre lui une révolte qui le força à s’enfuir à Bankok. Les Siamois vinrent à son aide, et il put revenir à Oudong en février 1862. Ang Sor, le chef de la rébellion, se réfugia à Saïgon, et une demande d’extradition fut adressée à l’amiral Bonard par le gouvernement de Bankok. L’amiral la repoussa dans le but de protester contre l’ingérence siamoise dans les affaires du Cambodge, et de réserver l’entière liberté d’action de la France. En 1864, éclata une nouvelle rébellion : un mandarin cambodgien, nommé Asoa, qui se prétendait fils de Ang Em, et par conséquent cousin de Noroudam, réunit les anciens rebelles d’Ang Sor, les Malais et quelques Annamites, mit à mort Kep, qui s’était maintenu jusqu’à ce moment dans le Trang du Sud, s’empara de Kompot qu’il pilla, et marcha sur Pnom Penh. Il fut repoussé, mais il se maintint quelque temps en possession de la province de Trang. Un autre agitateur, connu sous le nom de Pou Kombo, se disant fils de Ang Chan et d’une concubine, se fit également quelques partisans dans le pays.

  1. On raconte de ce célèbre Siamois des traits d’énergie extraordinaires. Au moment de la guerre de 1845, des poudres qui avaient été placées sous la cage de l’éléphant qu’il montait s’enflammèrent, et le couvrirent de brûlures. Le roi de Siam, informé de cet accident, lui envoya ses médecins et lui fit dire de revenir à Bankok. Mais le Bodin consentit seulement à interrompre sa marche pendant trois jours ; il se remit ensuite en route malgré d’atroces souffrances et voyagea jour et nuit pour réparer le temps perdu.