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Le commerce est entre les mains de quelques Chinois, la plupart originaires du Fokien, arrivés là par la Cochinchine. Les produits qu’ils apportent sont : de la noix d’arec, des étoffes de soie, des cotonnades, du sucre, du sel, divers articles de mercerie et de quincaillerie. Ils remportent à Pnom Penh du cardamome, de l’ortie de Chine, de la cire, de la laque, de l’ivoire, des peaux et des cornes de cerf et de rhinocéros, des plumes de paon et quelques objets de vannerie et de boissellerie artistement fabriqués par les sauvages. Tous ces échanges se font en nature, et il faut une saison entière pour transformer le chargement d’une barque. Ce n’est pas que la monnaie soit inconnue dans le pays : le tical siamois, qui est la monnaie officielle, et la piastre mexicaine, y ont cours ; mais ils ne s’y trouvent qu’en quantité excessivement faible. Comme monnaie divisionnaire, on se sert à Stung Treng de petites barres de fer aplaties de forme losangique, de 3 centimètres de largeur au milieu, sur moins de 1 centimètre d’épaisseur et sur 14 ou 15 centimètres de long. Elles pèsent environ 200 grammes, et l’on en donne 10 pour un tical ; cette monnaie singulière et incommode, qui attribue au fer une valeur huit ou neuf fois supérieure à celle qu’il a dans les pays civilisés, vient de la province cambodgienne de Tonly Repou. Pour une de ces barres de fer, les habitants donnent ordinairement deux poules. Un peu plus haut dans la vallée du Cambodge, à Bassac et à Oubôn, on se sert comme monnaie divisionnaire de petits saumons de cuivre de la grosseur du petit doigt et d’une longueur de 6 à 7 centimètres, appelés lat. On en donne 24 pour un tical.

Comme on peut le pressentir aisément, le commerce dont je viens de parler ne se fait que dans des proportions excessivement restreintes. Les Laotiens de cette zone ne sont guère plus producteurs que les Cambodgiens, et ce que j’ai dit plus haut de ces derniers peut s’appliquer également à leurs voisins de Stung Treng. Sans l’intervention de l’élément chinois, ces contrées éloignées mourraient bientôt à toute relation extérieure. Malheureusement, le régime douanier déplorable auquel est soumis le Cambodge est un puissant obstacle aux efforts des laborieux émigrants que le Céleste Empire fournit à toutes ces régions. Dès notre arrivée à Stung Treng, quelques-uns des Chinois qui y résidaient adressèrent à ce sujet de vives plaintes à M. de Lagrée : l’augmentation des droits de douane à Pnom Penh, pour toutes les marchandises venant du Laos, était devenue telle, dirent-ils, que cette route commerciale, cependant si directe, et relativement si facile, se trouvait trop onéreuse et qu’il allait falloir y renoncer pour prendre celle de Bankok. Outre la dîme prélevée sur tous les produits, le fermier récemment installé par le roi exigeait encore des cadeaux en nature qui élevaient le total des droits perçus à vingt pour cent environ de la valeur des marchandises !

À côté de ce commerce, qui est peu florissant, le Se Cong est la route d’un autre genre d’échanges moins avouable, mais plus actif et plus avantageux ; c’est le trafic des esclaves. Pour un peu de laiton ou de poudre, pour quelques verroteries, les chefs des tribus sauvages de cette zone consentent à livrer des adolescents, souvent même des familles entières, que les Chinois vont vendre ensuite sur le marché de Pnom Penh. Quoique la condition de ces esclaves au milieu des Laotiens ou des Cambodgiens ne soit