Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/229

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ges à pic où la roche fait irruption partout, et que dominent de hautes ondulations couvertes de forêts. Chaque perspective du fleuve, au lieu de se perdre dans un horizon sans limites, s’arrête à peu de distance et le coup d’œil se renouvelle sans cesse.

L’étranglement du fleuve produit par le Phou Molong est assez court et le Cambodge revient bientôt à une largeur d’un kilomètre. Après avoir passé au pied du Phou Salao, colline de 200 mètres de hauteur environ, qui infléchit le cours du fleuve à l’est, nous découvrîmes sur la rive gauche l’étroite embouchure du Se Don, en aval de laquelle s’élèvent le long de la berge des colonnes basaltiques d’un aspect original. À 5 heures du soir, nous entrions dans la rivière. Elle est d’une largeur uniforme de près de 200 mètres, et son cours est aussi sinueux que celui de la Seine aux environs de Paris. Notre marche devint plus rapide au milieu de ses eaux tranquilles.

Il était presque entièrement nuit quand nous nous arrêtâmes à un petit village situé sur la rive gauche. Notre mandarin d’escorte se hâta d’annoncer aux autorités locales la visite des étrangers, et s’employa à nous procurer ce qui devenait pour nous le problème à résoudre chaque jour, le bon souper et le bon gîte du Fabuliste. La pagode du hameau nous fournit le second ; nos provisions et quelques achats faits aussitôt, les éléments du premier. Pendant que Renaud se livrait à de savantes préparations culinaires, nous liions conversation avec les bonzes et le maire de l’endroit, pour nous former à cette gymnastique de langage qui devenait notre exercice quotidien. Gestes variés, dessins ingénieux étaient appelés au secours de notre ignorance des mots, et il était rare que l’on n’obtînt pas par ce procédé, au bout d’une demi-heure d’efforts, sept ou huit réponses entièrement contradictoires. Il fallait ensuite satisfaire la curiosité des indigènes, leur expliquer le maniement de nos armes, l’usage de nos montres et de nos ustensiles de toute sorte. La conversation se terminait par une distribution de petits cadeaux, tels que des aiguilles, des couteaux ou des images qui comblaient de joie ces naïves gens.

Le lendemain, nous continuâmes notre reconnaissance : la baisse des eaux se prononçait de plus en plus, et au pied des berges droites et hautes de 3 ou 4 mètres qui encaissaient régulièrement le cours de la petite rivière, quelques plages de sable ou de rocher se montraient çà et là à découvert. Le calme des rives, la marche silencieuse de notre pirogue qui s’avançait à la pagaie, encourageaient de nombreux caïmans à venir y bâiller au soleil du matin, et sans paraître rien redouter de leur présence, quelques paons picoraient à côté d’eux sur la grève.

Le soir, après avoir remonté dans la direction du nord pendant une trentaine de kilomètres, nous nous arrêtâmes à Solo Niai, village situé sur la rive gauche et qui paraît être le point d’embarquement des marchandises qui arrivent de l’intérieur à dos d’éléphant. Nous étions à peu de distance de chutes considérables qui interrompent la navigation de la rivière et que le commandant de Lagrée m’avait recommandé d’examiner avec le plus grand soin. Les rives du Se Don, qui jusque-là nous avaient paru assez plates, commençaient à s’accidenter ; de petites chaînes de collines ondulaient les environs de Solo Niai, et de tous côtés surgissaient à l’horizon les cimes bleuâtres des montagnes du massif de la rive gauche, dont nous nous étions sensiblement rapprochés. Les sauvages qui habi-