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LE SPEAN TEUP.

Ce mince résultat de tant de fatigues m’échappa bientôt : vers quatre heures du matin, nous fûmes réveillés par le bruit de voix nombreuses s’appelant au-dessus de nos têtes. Des torches éclairaient de haut en bas la pente, rapide au pied de laquelle nous nous trouvions. C’étaient les gens de Soukrom, conduits par le chef même du village, qui accouraient à notre secours. Ils furent abasourdis de voir que nous n’avions plus besoin d’eux et ils se confondirent en excuses. Je leur avais prouvé que leurs impossibilités de la veille n’en avaient pas été pour moi, et que cinq Français pouvaient faire le travail de trente Laotiens. Je me gardai bien de leur avouer que quelques heures auparavant je n’aurais eu garde de me montrer si fier, et qu’in petto j’implorais ardemment leur présence.

Dès que le jour fut venu, nous nous remîmes en route. La forêt fit bientôt place à une plaine sablonneuse entièrement dénudée. Le pays, désert aux abords de l’arête du plateau, se peupla de nouveau et nous dûmes recommencer à changer de véhicules et de conducteurs. Le 25 janvier, j’arrivai enfin à Tchoncan. Un peu en avant de ce point, se trouve une grande plaine entièrement nue, de forme elliptique et qui a toutes les apparences d’un lac desséché. Çà et là, quelques crevasses contiennent encore de l’eau. Cette plaine est bordée de tous côtés par une ceinture d’arbres et peut avoir quatre ou cinq lieues dans son plus grand diamètre. De nombreuses routes la sillonnent, mais elles doivent être impraticables pendant la saison des pluies.

Tchoncan était le dernier Muong que je dusse traverser avant d’arriver à Angcor. C’est là encore une province cambodgienne passée en même temps que Coucan, Sourèn et Soukéa sous la domination siamoise. Le gouverneur, qui était siamois de naissance, était absent ; mais son remplaçant fut aussi complaisant et aimable pour moi que la seconde autorité de Sourèn avait été ennuyeuse et tracassière.

Je recueillis, à Tchoncan, de nombreuses indications sur les ruines échelonnées sur ma route jusqu’au Grand Lac.

Non loin du village, est un magnifique pont khmer auprès duquel j’allai camper quelques heures. Les habitants le désignent sous le nom de Spean Teup. Il est jeté sur le Stung Sreng, rivière qui va se jeter dans le Grand Lac et dont je devais au retour retrouver la source. En ce point, elle est très-large et divisée, par des îles, en trois bras ; le pont se compose donc de trois tronçons ; le plus important, celui du milieu, a 148 mètres de long, 15 mètres de large, 10 mètres de hauteur au-dessus de l’eau et trente-quatre arches. Les rampes, qui sont en grès, sont supportées par des groupes de singes ; elles se terminent, comme à Angcor, par des serpents à neuf têtes ; le reste de la construction est en pierre de Bien-hoa. J’en ai levé un plan rapide que l’on trouvera ci-contre. Un pont analogue a été rencontré par le docteur Bastian, à quelque distance en aval sur la même rivière. À partir de ce point, les vestiges khmers se multiplièrent sur ma route ; je sentais que je me rapprochais d’Angcor, et je regrettai souvent la célérité qui m’était imposée. Le 27 janvier, je passai auprès d’un sanctuaire construit non loin des bords du Stung Plang, rivière qui se jette dans le Grand Lac. Cette construction en grès est d’une bonne époque. Le sanctuaire est en forme de croix, et sa façade principale est tournée vers l’est. Il est entouré d’une enceinte, dans l’angle sud-est de laquelle s’élève une tour.