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DE HOUTÉN À VIEN CHAN.

à gravir, et une autre à redescendre. Le roi laotien de Tran-ninh paye tribut au roi du Tong-king, et les bateaux du Cambodge viennent commercer jusqu’à ce point. Au nord de Tran-ninh est le pays de Lao-luong (Luang Prabang ?) qui relève de la Chine ; au sud, celui de Lao-chan (Vien Chan ?). Le pays de Tran-ninh est très-sain et très-fertile ; l’air y est tempéré et l’hiver on y voit de la glace. Les habitants sont très-doux ; mais ils ne peuvent souffrir qu’on les trompe.

Ces renseignements sont à peu près les seuls que l’on possède sur l’aspect et la population de la vaste région à laquelle Muong Poueun donne accès. Il est difficile de préciser le point où l’on franchit la chaîne de Cochinchine pour passer du Laos dans le Nghe-an. Le texte italien du P. Marini ne dit pas si les quinze jours de navigation faits par le P. Leria en quittant Vien Chan ont eu lieu en descendant ou en remontant le fleuve ; une partie de ce trajet a pu être faite sur un affluent du Cambodge, le Se Hin boun par exemple, qui est peut-être le fleuve large et peu profond dont parle le père Koffler. Le Se Hin boun figure sur la carte de Mgr Taberd sous le nom de On bo’n ; il est navigable pendant huit jours à partir de son embouchure, et, d’après les renseignements recueillis par M. de Lagrée, il offre un passage souterrain qu’une barque peut franchir en un jour. Peut-être doit-on identifier Tran-ninh et Ninh-cu’ong, qu’il faudrait placer dans ce cas sur le cours du Hin boun. Les populations de cette zone sont probablement des populations mixtes analogues aux Soué et aux Pou thai. Marini[1] affirme qu’une des sept provinces du royaume de Vien Chan reconnaissait jadis la suzeraineté du Tong-king. Elle comprenait sans doute la région qui nous occupe. On voit que les droits de la cour de Hué sur la rive gauche du Cambodge, attestés par les récits des pères Koffler et Lebreton, remontent à une époque très-éloignée. Les Siamois ont ravagé Muong Poueun en 1833 et en ont ramené 25,000 captifs. C’est de ce moment que datent leurs prétentions à la possession de toute la vallée du Cambodge. Il faut signaler à l’attention des futurs explorateurs les phénomènes volcaniques mentionnés dans toute cette région parle P. Leria et le P. Koffler, et dont on retrouve l’action irrécusable sur toutes les roches de la rive gauche du Cambodge, depuis le massif montagneux d’Attopeu, jusqu’aux marbres de la vallée du Hin boun et les formations calcaires de Luang Prabang.

Le commerce de Nong Kay est entre les mains des Chinois de Korat qui y apportent leurs marchandises ordinaires, ustensiles de cuivre, coutellerie et miroiterie européennes, cotonnades anglaises, soieries chinoises, etc. ; les colporteurs chinois sont assez nombreux pour former un quartier à part, où l’on trouve, remisés sous des hangars, les nombreux chars à bœufs qui servent à leurs voyages à Korat. Mais, là comme partout ailleurs dans le Laos, ils ont à lutter depuis quelque temps contre l’active concurrence des Birmans ou des Pégouans des possessions anglaises.

Au moment de notre arrivée, la population était en fête : c’était le moment où, le repiquage du riz étant terminé, les cultivateurs n’ont plus qu’à désirer une saison pluvieuse favorable. Aussi prodiguent-ils les prières et les offrandes. Les sentiers qui du village conduisaient aux rizières, étaient ornés de banderoles flottant à l’extrémité de

  1. Op. cit., liv. V, ch. ii, p. 457.