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tence du lac de Ta-ly, qui se déverse par un bras considérable dans ce dernier fleuve, justifie jusqu’à un certain point cette tradition en ce qui le concerne.

Je m’apercevais que les Annamites avaient recueilli un bruit de cette nature à leur figure rayonnante et à leur entrain dans l’exécution de tous les travaux qu’on leur demandait. Je m’en félicitais vivement. Tout pouvait dépendre, à un moment donné, de la fermeté de leur attitude. Ce fut donc avec une véritable satisfaction que je les vis s’apprêter au départ avec gaieté et ne pas se préoccuper des éventualités d’attaque à main armée dont on nous avait menacés. Leurs armes européennes, le peu de cas qu’ils faisaient des sabres, des flèches ou des fusils à pierre des indigènes, et, par-dessus tout, l’extrême confiance que leur donnait notre présence, en faisaient de précieux auxiliaires. Notre état de santé, en ce moment, ne laissait absolument rien à désirer. Seules, nos ressources pécuniaires, diminuées par un séjour d’une année entière dans le Laos, restaient insuffisantes pour le trajet que nous avions encore à accomplir.

Au moment de notre départ de Luang Prabang, l’effet des premières pluies s’était déjà fait sentir sur le fleuve, dont les eaux avaient monté de près d’un mètre. Nous nous embarquâmes le 25 mai au matin.

Un peu au-dessus de la ville, le fleuve se rétrécit et reprend son aspect sauvage et tourmenté. Les montagnes des rives resserrent leurs crêtes dentelées et leurs surfaces rocheuses ; leurs derniers gradins, qui surplombent les rives du fleuve, sont souvent ornés d’une pyramide, tombeau d’un bonze pieux ou châsse d’une relique imaginaire. Un peu au-dessus de Luang Prabang, sur la rive gauche du fleuve, s’élève un de ces Tât, pittoresquement situé à l’angle formé par le fleuve et un petit affluent. La montagne qui lui sert de piédestal s’appelle Phou Kieo. (Voy. le dessin en tête du chapitre.) Un peu plus loin, sur la rive opposée, et à l’entrée d’une de ces cavernes si fréquentes dans les formations calcaires, s’élève une gigantesque statue de Bouddha.

Nous arrivâmes le soir à l’embouchure du Nam Hou, affluent de la rive gauche du fleuve. Vis-à-vis cette embouchure, s’élèvent, sur la rive opposée du fleuve, de hautes falaises à pic, dans le flanc desquelles s’ouvre une grotte, plus profonde que la précédente, que les indigènes ont transformée en sanctuaire. Nous y montâmes à l’aide d’un escalier pratiqué dans le roc. Les déchirures du rocher dessinent au bas de la gigantesque et irrégulière ouverture de la grotte une sorte de balcon dont la main de l’homme a complété et régularisé les piliers et la rampe. De ce point, le coup d’œil que présente le fleuve, est plein d’une grandeur sauvage. Nous sommes loin maintenant de ces perspectives infinies le bleu des eaux et du ciel se fondait sous une éclatante lumière, et où de lointaines lignes de palmiers et de cases, à demi cachées sous leur ombre, arrêtaient seules les contours d’un paysage à la fois monotone et imposant. Ici, le fleuve n’atteint pas 300 mètres de large, et son cours sinueux est borné de toutes parts par des murailles rocheuses que surmontent les bizarres dentelures des montagnes du second plan. À une dizaine de mètres au-dessous du spectateur, ses eaux, déjà boueuses et toujours rapides, baignent le pied de l’escalier qui conduit au balcon, et font battre contre le rocher la barque légère qui nous attend. C’est un admirable endroit pour assister aux courses de pirogues, si fré-