neur de Xieng Khong. Malgré sa bienveillance naturelle et son désir de nous être agréable, il ne pouvait se résoudre à nous laisser franchir la frontière de Siam : les lettres de Bankok dont nous étions porteurs nous accordaient la libre circulation sur tout le territoire siamois ; mais il n’était pas indiqué que nous pussions en sortir. Prendre sur soi de nous y autoriser était une responsabilité qui épouvantait le timide fonctionnaire. Placé à un poste avancé qui ne laissait pas que d’être périlleux, il était habitué à une circonspection que justifiaient d’ailleurs les nombreuses guerres dont cette partie du Laos, tour à tour disputée entre Siam et Bankok, avait été le théâtre. Il aurait voulu nous faire conduire à Muong Nan ou tout au moins obtenir de nous que nous attendissions la réponse du gouverneur de la province à notre demande de sortie du territoire siamois. À la rigueur, tout ce qu’il pouvait accorder était de nous faire conduire à Xieng Hai, autre petite province dépendant de Bankok, et située un peu plus près du territoire birman. M. de Lagrée n’eut pas de peine cependant à démontrer à son interlocuteur qu’aux termes mêmes de notre passe-port, nous avions le droit d’aller au moins jusqu’à la frontière. En conséquence, il le mit en demeure de nous fournir des barques pour remonter le fleuve jusqu’au point où celui-ci entrait dans les possessions birmanes. Ce trajet était évidemment autorisé par nos passe-ports, qui spécifiaient la libre circulation sur tout le territoire siamois. « Mais, objectait le gouverneur de Xieng Khong, le point où je vous ferai ainsi conduire est en pleine forêt ; vous n’y trouverez ni vivres, ni moyens de transport pour aller plus loin. D’ailleurs, le fleuve cesse en ce point d’être navigable et il vous faudra cheminer par terre. — Peu vous importe, répliquait M. de Lagrée, c’est là mon affaire et non la vôtre. »
On se rappelle sans doute que nous étions partis sans passe-ports de la cour d’Ava. L’amiral de la Grandière avait essayé de les obtenir par l’intermédiaire de Mgr Bigandet, évêque catholique français, qui jouissait d’une certaine influence auprès du souverain de la Birmanie ; mais, sur ces entrefaites, une révolution de palais avait renversé celui-ci du trône ; les trois frères cadets du prince régnant avaient assassiné leurs deux frères aînés, sans parvenir cependant à s’emparer du pouvoir. Ils s’étaient réfugiés chez les Anglais, qui les avaient repoussés, puis chez les Karens. Les troubles qui avaient suivi cet assassinat avaient empêché le gouvernement birman de répondre aux communications qui lui avaient été faites à notre sujet.
M. de Lagrée pouvait cependant se prévaloir de cette démarche pour affirmer aux autorités birmanes que la cour d’Ava avait été prévenue de notre voyage. Il écrivit dans ce sens une lettre au roi de Xieng Tong, prince laotien tributaire de la Birmanie et de qui relevait le territoire qui confinait immédiatement à Xieng Khong. Il lui demandait l’autorisation de passer dans ces États et de s’y procurer les moyens de transport nécessaires, et il l’assurait du but entièrement pacifique et scientifique de notre mission.
Un courrier spécial partit le 10 juin pour porter ce message et les présents qui l’accompagnaient. Ceux-ci, tous destinés au roi de Xieng Tong, se composaient d’un tapis de pied, d’un éventail, d’une pièce d’étoffe algérienne et de quelques menus objets, pipes, savon, mouchoir, etc. Pendant ce temps les autorités de Xieng Khong se décidaient à réunir les barques nécessaires. Ce n’était pas sans difficultés et sans longueurs : la circulation commer-