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On se battait à trois ou quatre journées de marche de Se-mao, à Muong Ka et à Muong Pan. Il fallait prendre un parti sur la route qu’il convenait de suivre : remonter vers le nord et entrer dans le territoire possédé par les Mahométans était une résolution trop hardie qui nous exposait à nous faire suspecter à la fois par les deux partis, sans aucun résultat avantageux pour notre voyage ; nous risquions au contraire de tout perdre, jusqu’à nos notes, dans une de ces échauffourées d’avant-postes, auxquelles nous risquerions d’être mêlés.

Le gouverneur de Se-mao nous engageait, en riant, à rester auprès de lui, pour l’aider à combattre les terribles Koui-tse. Il nous reparla de la lettre qu’il nous avait envoyée à Xieng Hong pour nous prévenir de ne pas prendre la route de Ta-ly et de ne pas nous exposer ainsi à tomber entre les mains des rebelles, aux yeux desquels nos passe-ports de Chine ne pouvaient être qu’une recommandation négative. À cette lettre, qui émanait du vice-roi de la province, en était jointe une autre, écrite de Yun-nan par un Européen nommé Kosuto. Nous nous perdîmes en conjectures, sur ce que pouvait être ce Kosuto. Il était, disait-on, fort habile à fabriquer de la poudre et à préparer des mines destinées à faire sauter les Mahométans. Il avait auprès de lui plusieurs de ses compatriotes, qui l’aidaient dans ses travaux. Si les autorités de Xieng Hong nous avaient communiqué la missive de Kosuto, nous aurions su, sans doute, non-seulement à quoi nous en tenir sur ce singulier personnage, mais encore quelles étaient les dispositions réelles des autorités chinoises à notre égard ; mais la sotte méfiance du sena d’Alévy nous avait privés de ce précieux document, probablement parce qu’elles n’en pouvaient comprendre le contenu. La présence de cet Européen, peut-être même de ce compatriote à Yun-nan, était une bien forte raison pour nous diriger vers cette ville ; là seulement nous pourrions obtenir des premières autorités chinoises de la province, des renseignements positifs et décider la ligne de conduite définitive qu’il convenait d’adopter.

Une seule route restait libre pour nous rendre à Yun-nan : c’était celle de Ta-lan, Yuen-kiang et Che-pin ; encore nous faisait-elle passer à très-peu de distance des avant-postes musulmans.

Il était difficile de juger, au point de vue commercial, la valeur de la position de Se-mao ; la guerre avait trop profondément bouleversé les conditions ordinaires des échanges. Nous ne trouvâmes au marché, en dehors des comestibles et des denrées locales, que du fer venant de King-tong, ville chinoise située dans le nord et en ce moment au pouvoir des Mahométans ; les Laotiens l’appellent Muong Kou. Il faut aussi mentionner de la soie et des ouvrages de vannerie, chapeaux, paniers, etc., venant du Se-tchouen ; du cinabre, venant des environs de Ta-ly, du tabac fin pour les pipes à eau chinoises, du poivre et du papier de couleur venant du Kouang-si, des couvertures de laine et du cuivre venant de Yun-nan, et de la laque indigène. Le sel est également l’objet d’un commerce assez actif ; il vient de Pou-eul et de Muong Hou tai, qui se trouve dans le sud-est, et où l’on cultive le pavot et le thé. Le sel vaut quatre francs les soixante kilogrammes et est exporté vers Xieng Tong en échange du coton qu’expédie à Se-mao cette dernière localité.