Page:Louis Delaporte - Voyage d'exploration en Indo-Chine, tome 1.djvu/487

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le lendemain matin, au point du jour, on me fit franchir un mur de la pagode qui donnait du côté du rempart, et par des chemins détournés et déserts, on me reconduisit auprès de M. de Lagrée.

Celui-ci avait éprouvé quelques difficultés à continuer sa route. Il était arrivé à Che-pin le 29 novembre. Au moment où il allait partir pour Lin-ngan, Leang ta-jen, gouverneur de cette ville, avait expédié une lettre dans laquelle il invitait la commission française à rester à Che-pin et à poursuivre directement sa route sur Yun-nan. Il n’était pas possible, disait cette lettre, d’aller de Lin-ngan à la capitale de la province ; les chemins étaient interceptés de ce côté par les Koui-tse et les voleurs. M. de Lagrée avait insisté pour aller jusqu’à Lin-ngan faire connaissance avec le Leang ta-jen, sauf à revenir à Che-pin, reprendre la route qu’on lui indiquait. À son arrivée à Lin-ngan, de nombreux cadeaux lui avaient été apportés de la part des autorités locales, mais on lui avait fait dire que tous les principaux mandarins de la ville, Leang ta-jen en tête, étaient absents et occupés à combattre les Koui-tse qui s’étaient retranchés à soixante-dix li dans le nord-est de la ville, dans deux fortes positions, appelées Po-si et Kouang-si. M. de Lagrée ne crut pas à cette prétendue absence et exigea que le Leang ta-jen fit des excuses officielles au sujet des insultes dont j’avais été l’objet. Une foule de mandarins subalternes vinrent lui rendre visite et essayèrent de l’adoucir par des présents. M. de Lagrée reçut froidement les visites et repoussa les cadeaux.

De l’intérieur de la vaste pagode où nous étions logés, nous entendions la foule vociférer et se plaindre de ne pouvoir parvenir jusqu’à nous ; de temps en temps quelques pierres lancées par-dessus les murs nous témoignaient de son impatience et de sa brutalité. Le sergent annamite accompagné d’un de ses camarades parvint à saisir l’un des agresseurs. Nous le remîmes aux autorités locales, en demandant une punition sévère. Il fut immédiatement mis à la cangue. Dans l’intervalle j’avais fait écrire à mon Annamite Tei, sur la prière de M. de Lagrée, une lettre chinoise dans laquelle celui-ci exposait ses griefs et demandait une réponse positive et des communications plus directes avec la première autorité de Lin-ngan. Quelques heures après, nous reçûmes une réponse dans laquelle Leang ta-jen faisait des excuses et annonçait sa venue pour le lendemain. Il arriva à l’heure dite. Son air humble et embarrassé contrastait singulièrement avec son encolure de géant ; c’était bien là le fameux personnage que nous représentaient les récits populaires. Homme du peuple sans instruction et sans grade, sa valeur et son énergie l’avaient désigné, dès les premiers combats contre les Mahométans, au commandement militaire du sud de la province. Il s’était décerné lui-même le bouton rouge et avait remplacé les mandarins de Che-pin, de Tong-hay, et de plusieurs villes voisines par des créatures à lui ; il avait délivré l’année précédente la ville de Lin-ngan un instant occupée par les rebelles. Par le fait, il ne reconnaissait plus les ordres venus de Pékin, et agissait en souverain indépendant. L’ascendant moral exercé par M. de Lagrée sur un homme dont l’énergique volonté avait tout soumis autour de lui, n’en était que plus extraordinaire. L’entrevue fut très-courte : le Leang ta-jen prévint le chef de la Mission française, qu’il allait immédiatement retourner aux avant-postes et le dispensa ainsi de lui rendre sa visite. Des affiches